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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/598

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XÉNOPHON, LIV. VII.

tâcher de lever contre eux une armée plus nombreuse, qui aura également besoin de subsistances. Quant à l’argent, n’en dépenserez-vous pas moins en nous payant sur-le-champ ce qui nous est dû, qu’en continuant à nous le devoir, et soudoyant, pour nous le disputer, une plus grande quantité de troupes ? Mais Héraclide, à ce qu’il m’a déclaré, regarde la somma comme immense. Cependant la totalité de ce que nous exigeons de vous vous enrichirait moins aujourd’hui si vous le touchiez, et vous coûterait moins, si vous vous déterminiez à le payer, que n’eût fait, avant notre alliance, la dixième partie de cette dette ; car ce n’est pas la quotité d’une somme qui la rend considérable ou légère, ce sont les facultés de l’homme qui l’acquitte, et celles de l’homme qui la reçoit ; or, vos revenus annuels maintenant valent plus que le fonds de ce que vous possédiez jadis. Quant à moi, Seuthès, j’ai fait sur votre situation ces réflexions, et je vous les ai communiquées, par attachement pour vous, afin que vous vous montriez digne des faveurs que les Dieux vous ont accordées, et que vous ne me perdiez pas moi-même de réputation dans l’esprit du soldat ; car, vu les dispositions où est actuellement l’armée, vous devez être certain qu’il me serait également impossible de m’en servir pour me venger de mes ennemis, ni pour vous procurer de nouveaux secours, si je formais l’un ou l’autre de ces projets. Je prends cependant à témoin, et les Immortels à qui rien n’est caché, et vous-même, Seuthès, que je n’ai rien touché de vous pour les services que vous ont rendus nos soldats, et que non seulement je ne vous ai pas pressé de m’enrichir à leurs dépens, mais que je n’ai même pas réclamé ce que vous m’aviez promis. Je jure de plus que si vous m’aviez offert de remplir envers moi vos engagemens, je n’aurais rien accepté, à moins que le soldat n’eût reçu en même temps jusqu’à la dernière obole de ce qui lui était dû. J’aurais regardé comme une infamie de stipuler mes intérêts particuliers, et de négliger les siens ; de transiger avantageusement sur mes prétentions personnelles, et de laisser l’armée dans le malheur, surtout y jouissant de quelque considération. Qu’un Héraclide pense qu’il n’est d’autre bien dans ce monde, que d’accumuler des trésors par quelques moyens que ce soit ; quant à moi, Seuthès, j’estime que les plus précieuses, que les plus brillantes richesses d’un homme, et surtout d’un grand prince, sont la vertu, l’équité et la générosité. Qui les possède, est entouré d’amis et d’hommes qui aspirent à le devenir. Prospère-t-il ? il voit tous les cœurs partager son bonheur ; lui survient-il une infortune ? une foule de secours se présentent pour l’en tirer. Si mes actions n’ont pu vous persuader que je suis au fond du cœur bien intentionné pour vous ; si mes discours ne vous le font pas connaître ; réfléchissez sur les propos du soldat. Vous étiez présent, et vous avez entendu vous-même ce qu’ont dit ceux qui voulaient blâmer ma conduite. On m’accusait devant les Lacédémoniens de vous être plus attaché qu’à ce peuple, et l’armée me reprochait d’avoir à cœur votre prospérité aux dépens de ses intérêts ; on allait jusqu’à m’imputer d’avoir reçu de vous des présens. Mais ce dernier reproche, pensez-vous que je l’eusse essuyé, si l’on m’eût soupçonné de mauvaise volonté pour vous, et non pas de trop de zèle ? Il me semble que quiconque accepte un