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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/600

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XÉNOPHON, LIV. VII.

des Grecs pour les vendre, et par-là excitèrent contre eux-mêmes beaucoup de murmures. Xénophon se tint à l’écart ; on voyait qu’il se préparait à retourner dans sa patrie, car la sentence de bannissement n’avait point encore été portée contre lui à Athènes. Ceux des Grecs qui étaient le plus liés avec lui vinrent le trouver pour le conjurer de ne point abandonner encore l’armée, de la conduire en Asie et d’en remettre lui-même le commandement à Thimbron.

On s’embarqua ensuite et l’on passa à Lampsaque. Euclide de Phliasie, devin, et fils de Cléagoras, qui a peint les songes dont on a décoré le lycée, vint au-devant de Xénophon. Il le félicita de ce qu’il avait échappé à tant de dangers, et lui demanda à quoi se montaient ses richesses. Xénophon lui jura qu’il n’avait pas de quoi s’en retourner à Athènes, à moins qu’il ne vendît son cheval et ses équipages. Euclide ne voulait pas le croire ; mais les habitans de Lampsaque ayant envoyé à Xénophon les présens de l’hospitalité, ce général fit un sacrifice à Apollon, et plaça Euclide près de lui. Celui-ci ayant vu les entrailles des victimes, dit à Xénophon : « Je suis enfin persuadé que vous ne rapportez rien de votre entreprise. Quand vous devriez vous enrichir dans la suite, et qu’il ne s’y trouverait point d’autre obstacle, vous vous opposez vous-même à la bienfaisance des dieux. — C’est Jupiter Milichien, continua Euclide, qui repousse loin de vous la fortune. Avez-vous fait à ce dieu des sacrifices ? Lui avez-vous offert des holocaustes comme j’avais coutume de lui en offrir pour vous à Athènes ? » Xénophon avoua que depuis qu’il avait quitté sa patrie il n’avait point immolé de victimes à ce Dieu. Euclide conseilla à Xénophon de lui sacrifier, et lui annonça qu’il s’en trouverait mieux. Le lendemain, Xénophon alla à Ophrynium, y fit un sacrifice, et brûla des porcs entiers, suivant le rit d’Athènes. Le Dieu lui accorda des signes favorables. Le même jour arrivèrent Biton et Euclide pour distribuer de l’argent à l’armée. Ils se lièrent par les nœuds de l’hospitalité à Xénophon, et soupçonnant que c’était par besoin d’argent qu’il s’était défait à Lampsaque, pour cinquante dariques, de son cheval, qu’on leur dit qu’il aimait beaucoup, ils le rachetèrent et forcèrent ce général de le reprendre sans vouloir en recevoir le prix.

On marcha ensuite à travers la Troade ; on passa sur le mont Ida, et l’on arriva d’abord à Antandre, puis, en suivant le rivage de la mer qui baigne les côtes de Lydie, on se porta dans la plaine de Thèbes. De là, traversant Atramytium et Certonium, on entra près d’Atarne dans la plaine du Caïque, et l’on parvint à Pergame, ville de Mysie. Xénophon y logea chez Hellas, femme de Gongylus Érétrien, et mère de Gorgion et de Gongylus. Elle l’instruisit qu’Asidate, l’un des Perses les plus distingués, était dans la plaine ; elle ajouta que si Xénophon voulait y marcher de nuit avec trois cents hommes, il le prendrait probablement avec sa femme, ses enfans, et tous ses trésors qui étaient considérables ; elle lui donna pour guides son cousin, et Daphnagoras, un de ses plus intimes amis. Xénophon offrit avec eux un sacrifice. Agasias d’Élide, devin, qui y assistait, lui dit que les entrailles étaient très favorables, et qu’il pouvait faire Asidate prisonnier. Xénophon se mit donc en marche après souper. Il avait pris avec lui les chefs de lochos qu’il aimait le plus et qui lui avaient en tout temps été le plus attachés, pour les faire participer à sa bonne fortune. Environ six cents hommes sortirent aussi malgré lui, et le suivirent ; mais les chefs pri-