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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/599

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XÉNOPHON, LIV. VII.

don, doit concevoir aussitôt des sentimens de reconnaissance pour son bienfaiteur, et chercher à lui en donner des preuves. Avant que je vous eusse rendu aucun service, vous me receviez toujours avec plaisir ; vos regards, vos discours, les présens de l’hospitalité étaient garans de vôtre bienveillance ; vous ne vous lassiez pas de m’accabler de promesses. Depuis que vos projets ont réussi et que vous avez acquis la plus grande puissance que j’ai pu vous procurer, vous osez me dédaigner parce que j’ai perdu mon crédit sur l’armée. Je ne doute pas cependant que vous ne finissiez par la satisfaire. Le temps dessillera vos yeux, et vous ne pourrez supporter d’entendre les murmures de vos bienfaiteurs. Ce que je vous demande, c’est, en prenant ce parti, de songer à mon honneur et de tâcher de me remettre dans l’esprit du soldat tel que j’y étais lorsque je suis entré à votre service. »

Seuthès ayant entendu ce discours, maudit hautement celui qui était cause de ce que la solde des Grecs ne leur était pas payée depuis long-temps, et tout le monde crut qu’il désignait par ces mots Héraclide. « Pour moi, ajouta ce prince, je n’ai jamais prétendu priver les Grecs de ce que je leur dois, et je m’acquitterai avec eux. — Puisque vous vous résolvez à les payer, reprit Xénophon, je vous conjure de leur faire tenir par moi cet argent, et de ne pas négliger l’occasion de me rendre dans l’armée la considération dont je jouissais lorsque nous vous avons joint. — Ce ne sera pas moi qui vous la ferai perdre, répliqua Seuthès, et si vous vouliez rester à mon camp avec mille fantassins seulement, je vous livrerais tous les dons et toutes les places que je vous ai promis. — Cet arrangement est devenu impossible, répondit Xénophon ; renvoyez-nous au plus tôt. — Je sais cependant, dit Seuthès, que vous seriez plus en sûreté à ma cour qu’où vous allez. — Je suis reconnaissant, répliqua Xénophon, de votre prévoyance et de vos bontés, mais je ne puis rester avec vous. Croyez que si dans aucun lieu je recouvre quelque considération, elle y tournera à votre avantage. » Seuthès s’expliqua alors en ces termes : « Je n’ai point d’argent, ou du moins j’en ai peu. Il ne me reste qu’un talent, et c’est à vous que je le donne. Prenez de plus six cents bœufs, environ quatre mille têtes de menu bétail, cent vingt esclaves et les otages des Thraces qui vous ont attaqués, puis retournez vers les Grecs. » Xénophon sourit, et lui dit : « Si la vente de ces effets ne suffit pas pour payer tout ce que réclame l’armée, à qui pourrai-je dire qu’appartient le talent dont vous me gratifiez personnellement ? Puisque vous me faites entendre que je cours des risques à rejoindre l’armée, ne faut-il pas au moins que je me garde d’être lapidé ? Vous avez entendu vous-même qu’on m’en a menacé. » Xénophon passa dans ce lieu le reste du jour et la nuit suivante.

Le lendemain, Seuthès livra aux députés ce qu’il avait promis, et l’envoya, conduit par des Thraces, au camp des Grecs. Le bruit s’y était répandu que Xénophon n’avait été trouver Seuthès que pour rester à sa cour et pour recevoir les récompenses qu’on lui avait promises. Lorsqu’on le vit revenir, ce fut une joie universelle. On courut au-devant de lui. Dès que ce général aperçut Charmin et Polynice : «Voilà, leur dit-il, ce que vous avez fait recouvrer à l’armée ; je le remets entre vos mains ; vendez-le vous-mêmes et distribuez-en le prix au soldat. » Ces deux Lacédémoniens reçurent les effets, commirent