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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/621

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XÉNOPHON.

encore à présent, et prirent ainsi congé de lui. Un Mède distingué par son mérite, qui depuis long-temps était frappé de la beauté de Cyrus, venait de voir donner le baiser du départ ; il attendit que les parens se fussent retirés, puis s’approchant : « Cyrus, lui dit‑il, suis‑je le seul de tes parens que tu méconnaisses ? — Es‑tu aussi mon parent ? — Assurément. — Voilà donc pourquoi tu me fixais ; je crois t’y avoir souvent surpris. — Je désirais en effet de t’aborder : mais, les dieux m’en sont témoins, je ne l’osais pas. — Tu avais tort, puisque tu es mon parent. » Aussitôt il s’avança vers lui et l’embrassa. Alors le Mède satisfait lui demanda si c’était la coutume en Perse de saluer ainsi ses parens. « Oui, quand on se revoit après quelque absence, ou que l’on se quitte. — Tu dois donc m’embrasser encore une fois ; car tu vois que je prends congé de toi. » Cyrus l’embrasse, le congédie et se retire. Ils n’avaient pas fait beaucoup de chemin, chacun de leur côté, lorsque le Mède revint sur ses pas, à bride abattue. « Aurais‑tu, lui cria Cyrus, en le voyant, oublié de me dire quelque chose ? — Point du tout, je reviens après une absence. — Oui, mon cher parent, mais qui est bien courte. — Courte, reprit le Mède ! tu ne sais donc pas qu’un clin d’œil, sans voir un prince si aimable, me paraît d’une bien longue durée ? »

À ce propos, Cyrus, dont les larmes coulaient encore, se mit à rire, et lui dit en le quittant, de prendre courage ; que dans peu de temps il serait de retour, qu’alors il le verrait tout à son aise, sans cligner les yeux, s’il le trouvait bon.

Chap. 5. Cyrus, de retour en Perse, passa encore une année dans la classe des enfans. Ses camarades le plaisantèrent d’abord sur la vie efféminée dont il avait sans doute contracté l’habitude en Médie : mais quand ils virent qu’il s’accommodait de leur nourriture, de leur boisson, et que, si à certains jours de fête on servait quelque mets plus délicat, loin de trouver sa portion trop modique, il en donnait aux autres ; enfin lorsqu’ils eurent reconnu qu’à tous égards il leur était supérieur, ils le regardèrent avec admiration. Ce cours terminé, il entra dans la classe des adolescens, et s’y distingua de même par son application aux divers exercices, par sa patience, son respect pour les anciens, et sa soumission aux magistrats.

Cependant Astyage mourut. Cyaxare son fils, frère de la mère de Cyrus, prit les rênes de la Médie. Dans le même temps, le roi d’Assyrie, après avoir dompté la nombreuse nation des Syriens, assujetti le roi d’Arabie, soumis les Hyrcaniens, investi la Bactriane, se persuada qu’il subjuguerait aisément tous les peuples circonvoisins, s’il affaiblissait les Mèdes, qu’il regardait comme les plus redoutables. Il dépêcha donc des ambassadeurs vers les princes et les peuples ses tributaires, Crésus, roi de Lydie, le roi de Cappadoce, les habitans des deux Phrygies, les Cariens, les Paphlagoniens, les Indiens, les Ciliciens. Il les chargeait de répandre de mauvaises impressions contre les Mèdes et les Perses, de représenter que ces deux nations nombreuses et puissantes, étant amies, et unies par des mariages réciproques, il était à craindre qu’elles ne parvinssent, si on ne les prévenait, à écraser les autres en les attaquant successivement. Tous se liguèrent avec lui, les uns entraînés par ces considérations, d’autres séduits par les présens et l’or du roi d’Assyrie, prince assez riche pour prodiguer l’un et l’autre. Dès que Cyaxare, fils d’Astyage, fut informé des desseins et des préparatifs de la ligue, il ne négligea rien de son côté, pour se mettre en état de défense. Il députa vers les