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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/695

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XÉNOPHON.

rière-garde, n’avait point eu part à la poursuite des ennemis. Jaloux de se distinguer aussi par quelque fait éclatant, sans se concerter avec Cyrus, sans lui communiquer son dessein, il alla faire une incursion du côté de Babylone. Tandis que ses cavaliers étaient dispersés dans la campagne, le roi d’Assyrie sort tout-à-coup de la ville où il s’était réfugié, et paraît à la tête de ses troupes, rangées dans le meilleur ordre. S’apercevant que les Cadusiens étaient seuls, il fond sur eux, tue leur chef et plusieurs soldats, s’empare d’un grand nombre de chevaux, reprend le butin qu’ils emportaient ; et, après les avoir poursuivis tant qu’il crut pouvoir le faire sans danger, il retourne sur ses pas. Les premiers d’entre les Cadusiens, échappés à cette défaite, rentrèrent le soir dans le camp.

Lorsque Cyrus eut appris cette mauvaise nouvelle, il courut au devant des vaincus, accueillit les blessés, à mesure qu’ils arrivaient, et les envoya vers Gadatas pour les faire panser : il établit les autres dans une tente ; et afin que rien ne leur manquât, il en prit soin lui-même, secondé de quelques homotimes. Dans ces occasions, les âmes sensibles s’empressent de concourir au soulagement des malheureux. Cyrus paraissait pénétré de douleur : à l’heure du souper, toutes les troupes s’étant mises à manger, il continua, suivi de quelques valets, de veiller avec les médecins sur les blessés, dont il ne voulait pas qu’aucun fût négligé : il les visitait en personne, ou bien il envoyait à ceux qu’il ne pouvait aller voir, des gens pour les soigner. C’est ainsi que les Cadusiens passèrent la nuit.

Le lendemain à la pointe du jour, Cyrus convoqua, par un héraut, les chefs des alliés, et tous les Cadusiens sans exception, et leur tint ce discours : « Généreux alliés, imputons à la condition humaine le malheur qui vient d’arriver ; il n’est pas étonnant que des hommes fassent des fautes : mais du moins tirons une instruction de cet événement ; apprenons que des troupes inférieures en nombre à celles de leurs ennemis, ne doivent jamais se séparer du gros de l’armée. Je ne dis pas cependant qu’il ne faille en aucune circonstance s’exposer à faire une marche qui serait nécessaire, même avec un corps moins nombreux que n’était celui des Cadusiens lorsqu’ils sont entrés sur les terres du roi d’Assyrie ; mais il faut que ce soit de concert avec le général, qui a des forces suffisantes pour protéger l’entreprise : s’il arrive qu’elle échoue malgré cette précaution, il est possible aussi que le général, par quelque stratagème, ôte aux ennemis l’envie d’attaquer son détachement, et qu’il parvienne à le mettre à l’abri de toute insulte, en leur suscitant ailleurs des affaires plus pressantes. Lorsqu’on s’éloigne ainsi de l’armée, on n’en est point séparé, on tient toujours au corps. Au contraire l’officier qui part suivi de sa troupe, sans dire où il la mène, ne diffère point de celui qui se met seul en campagne.

Au reste, poursuivit Cyrus, avec l’aide des Dieux, nous ne tarderons pas à nous venger. Aussitôt que vous aurez dîné, je vous mènerai sur le champ de bataille ; nous donnerons la sépulture aux morts. Si le ciel nous seconde, nous montrerons aux Assyriens, dans le lieu même où ils se flattent d’avoir eu quelque supériorité, des troupes plus braves que les leurs ; et nous les réduirons à ne plus regarder avec plaisir les champs où ils ont défait nos alliés. S’ils ne viennent point à notre rencontre, nous