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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/699

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XÉNOPHON.

Chap. 5. Cette expédition terminée, Cyrus dépêcha un des siens vers Cyaxare, avec une lettre, pour le prier de se rendre à l’armée ; afin qu’ils pussent délibérer ensemble sur l’usage qu’on devait faire des châteaux dont on venait de s’emparer ; et pour que Cyaxare, après avoir examiné l’état des troupes, donnât son avis, tant sur ce qui les concernait que sur les entreprises qu’on pouvait former. « Tu ajouteras, dit-il à l’envoyé, que, s’il veut, j’irai le joindre et camper auprès de lui. » Le messager partit pour remplir sa mission. Les Mèdes avaient choisi pour Cyaxare la tente du roi d’Assyrie : Cyrus ordonna qu’on dressât cette tente, qu’on la meublât le plus magnifiquement possible, et que l’on y plaçât dans la partie destinée aux femmes, les deux captives avec les musiciennes qu’on avait réservées pour le roi. Cet ordre fut exécuté.

Cyaxare, après avoir entendu l’envoyé, jugea qu’il était plus expédient pour lui que l’armée demeurât sur la frontière : car les Perses que Cyrus avait demandés étaient déjà entrés en Médie, au nombre de quarante mille, tant archers que peltastes ; et le roi, sachant qu’ils faisaient beaucoup de dégât sur ses terres, avait bien plus d’envie d’en être délivré que d’y recevoir des troupes encore plus nombreuses. Ainsi le chef qui amenait ce renfort, ayant demandé à Cyaxare, conformément à l’ordre de Cyrus, s’il avait besoin de ce secours, et Cyaxare ayant répondu que non, partit le jour même avec ses Perses, pour aller joindre son général, qu’on lui dit n’être pas éloigné.

Le lendemain Cyaxare se mit en chemin, avec ce qui lui restait de cavaliers mèdes. Quand Cyrus eut lieu de croire que ce prince approchait, il se hâta d’aller à sa rencontre, à la tête de la cavalerie perse, qui formait un corps assez nombreux, et de celle des Mèdes, des Arméniens, des Hyrcaniens, auxquels il joignit ceux d’entre les autres alliés qui étaient les mieux montés et les mieux armés : il montrait ainsi à son oncle l’état de ses forces. Cyaxare, voyant Cyrus accompagné d’un si grand nombre de gens d’élite, tandis que lui n’avait pour cortége qu’une petite troupe peu imposante, se sentit humilié, et conçut un violent chagrin. Cyrus descendit de cheval, et s’avança pour l’embrasser, selon l’usage. Cyaxare descendit aussi, mais détourna son visage, et au lieu de recevoir le baiser de son neveu, il fondit en larmes, devant toute l’armée.

Alors Cyrus fit retirer un peu à l’écart ceux qui l’accompagnaient ; et prenant Cyaxare par la main, il le mena sous des palmiers qui étaient près du chemin, fit étendre des tapis de Médie, invita le roi à s’asseoir, et s’étant mis à ses côtés : « Au nom des Dieux, mon cher oncle, dites-moi pourquoi vous êtes indisposé contre moi ; que voyez-vous ici qui puisse vous chagriner ? — C’est, répondit Cyaxare, parce que moi qui n’ai, de mémoire d’homme, que des rois pour aïeux, qui suis fils de roi, roi moi-même, je me vois arrivant ici dans l’équipage le plus humiliant ; tandis qu’entouré de mes sujets et d’un grand nombre d’autres troupes, vous paraissez avec tout l’éclat de la grandeur et de l’autorité. Certes il serait dur de recevoir de ses ennemis un pareil affront : combien, grand Jupiter, est-il plus cruel de l’essuyer de la part de ceux de qui on ne devait pas l’attendre ! Oui, j’aimerais mieux mourir dix fois que d’être vu dans cet abaissement, exposé à l’abandon, à la risée de mes sujets : car je sais que non seulement votre pouvoir, mais celui même de mes esclaves, est au-dessus du mien ;