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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/742

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LA CYROPÉDIE, LIV. VIII.

venu au plus haut point de prospérité. Il établit des mages, pour célébrer les Dieux dès la naissance de l’aurore, et pour offrir chaque jour des victimes à celles des divinités qu’ils désigneraient : institution suivie sans interruption sous les rois ses successeurs. Les Perses suivirent son exemple, soit qu’ils crussent qu’en imitant le zèle religieux d’un chef constamment heureux, ils en deviendraient plus heureux eux-mêmes, soit uniquement dans la vue de lui plaire. Lui, de son côté, regardait leur piété comme sa sauve-garde ; de même que les navigateurs se croient plus en sûreté dans leur vaisseau avec des gens de bien qu’avec des impies. Il était d’ailleurs persuadé que plus ceux qui l’approchaient craindraient les Dieux, moins ils se rendraient coupables d’aucune mauvaise action les uns envers les autres, et envers lui, qui les avait comblés de bienfaits. Il espérait qu’en se montrant rigide observateur de la justice, et soigneux d’empêcher qu’il fût fait aucun tort à ses amis ou à ses alliés, il les accoutumerait à s’abstenir de tout gain illicite, et à ne chercher que des profits légitimes. Il se persuadait qu’il inspirerait mieux la pudeur s’il les respectait assez tous pour ne jamais rien dire ou rien faire devant eux qui pût la blesser : c’est qu’il savait que les hommes sont naturellement plus disposés à respecter, non pas seulement leur supérieur, mais leur égal, quand il se respecte, que lorsqu’il se manque à lui-même ; et que plus une femme est modeste, plus elle inspire de vénération.

Pour maintenir la subordination, il affectait de récompenser plus libéralement l’obéissance prompte que les actions brillantes et périlleuses : jamais il ne s’écarta de cette pratique. Il formait les autres à la tempérance par l’exemple de la sienne. En effet, lorsque celui qui peut être impunément ou violent ou injuste, sait se modérer, les gens moins puissans n’oseraient commettre ouvertement ni violence ni injustice. Il mettait une différence entre la pudeur et la tempérance : l’homme qui a de la pudeur, disait-il, craint de faire à découvert une action honteuse ; l’homme tempérant s’en abstient même en secret. Il jugeait qu’il donnerait une grande leçon de modération, en montrant que les plaisirs qui s’offraient sans cesse à lui ne pouvaient le distraire de ses devoirs, et qu’il ne se les permettait que comme délassement d’un travail honnête. Par cette conduite, il fit qu’à sa cour ceux des classes inférieures se tenaient toujours dans les termes de la déférence et du respect envers leurs chefs, et que les uns et les autres se traitaient mutuellement avec tous les égards de l’honnêteté. On n’y entendait ni les éclats de la colère, ni les ris d’une joie immodérée : tout s’y passait avec décence. C’est ainsi que les Perses vivaient dans le palais de Cyrus ; tels étaient les exemples qu’ils avaient sous les yeux.

Pour former aux exercices militaires ceux pour qui il jugeait ces exercices indispensables, il les menait à la chasse, regardant ce divertissement comme une excellente préparation au métier de la guerre, surtout pour la cavalerie. La nécessité de poursuivre un animal qui fuit, oblige effectivement le cavalier à se tenir ferme sur son cheval, dans toutes sortes de terrains, en même temps que le désir de faire valoir son adresse et d’atteindre sa proie, le rend agile et dispos. C’était à la chasse surtout, qu’il les accoutumait à la tempérance, au travail, à supporter le froid, le chaud, la faim, la soif. Aussi, le roi de Perse et ses courtisans ont-ils conservé cet usage.

Cyrus pensait, comme on l’a vu par