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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/743

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XÉNOPHON.

ces détails, qu’un prince n’est point digne de commander, s’il n’est plus parfait que ses sujets. En exerçant ainsi les siens, il s’exerçait lui-même plus assidûment qu’aucun d’eux à la tempérance, aux manœuvres militaires, et à toutes les parties de l’art de la guerre. En effet, il ne les menait à la chasse que dans le temps où les affaires lui permettaient de sortir de la ville, mais pour lui, quand elles exigeaient qu’il y demeurât, il chassait, avec ses eunuques, les animaux renfermés dans son parc, et ne prenait jamais de repas qu’après s’être fatigué jusqu’à suer. Il ne voulait pas même qu’on donnât à manger aux chevaux avant de les avoir travaillés. Cette application continuelle lui avait acquis une grande supériorité dans toute sorte d’exercices ; et il sut procurer aux siens la même supériorité, tant par ses exemples, que par son attention à récompenser ceux qui montraient une plus noble ardeur, soit en leur distribuant des présens ou leur donnant des commandemens, soit en leur assignant des places distinguées ou leur accordant d’honorables prérogatives. De là naissait une émulation générale, chacun ambitionnant de mériter son estime.

Je crois avoir remarqué dans la conduite de Cyrus, qu’une de ses maximes était qu’un prince, pour s’attacher ses sujets, ne doit pas se contenter de les surpasser en vertu, mais qu’il doit encore user d’une sorte d’artifice. Il prit donc l’habillement des Mèdes, et engagea les grands à l’imiter ; parce que cet habillement a le double avantage de cacher les défauts du corps et de faire paraître les hommes plus grands et plus beaux : car la chaussure médique est faite de manière qu’on peut placer en dedans, sans qu’on s’en aperçoive, de quoi hausser la taille. Il approuvait que les Perses se peignissent les yeux, afin de les rendre plus vifs, et qu’ils se fardassent le visage, pour relever la couleur naturelle de leur teint. Il leur recommandait de ne jamais ni cracher, ni se moucher en présence de personne ; et surtout de ne tourner jamais la tête pour regarder aucun objet, comme n’étant réellement affectés de rien. Tout cela lui semblait propre à environner les chefs de respect.

Tels étaient les exercices et l’appareil fastueux auxquels il accoutumait ceux qu’il appelait au commandement : quant à ceux qu’il destinait à la servitude, loin de les exciter à embrasser la vie laborieuse des hommes libres, il ne leur permettait même pas l’usage des armes ; mais il veillait à ce que pendant les exercices de leur maîtres, ils ne manquassent point du nécessaire. Quand ils allaient à la chasse pour rabattre les animaux sur les cavaliers qui tenaient la plaine, il trouvait bon qu’ils emportassent des vivres ; ce qui était défendu aux hommes libres. Dans les voyages, il les faisait mener, comme des troupeaux, vers les lieux où ils pouvaient se désaltérer : à l’heure du repas, il s’arrêtait pour leur donner le temps de manger, de peur qu’ils ne fussent tourmentés de la faim. Cette bonté qui ne tendait évidemment qu’à perpétuer leur esclavage, fit qu’ils se montrèrent aussi empressés que les grands, à lui donner le nom de père. Voilà comme il affermit le vaste empire des Perses. Pour lui personnellement, il ne craignait rien des peuples qu’il venait de soumettre : outre qu’il les jugeait lâches, et qu’il les voyait divisés, aucun ne l’approchait ni le jour ni la nuit. Cependant comme il se trouvait parmi eux des personnages distingués, qu’il voyait armés et se tenant étroitement unis ; que plusieurs avaient sous leurs ordres des corps de cavalerie ou d’infanterie ; que quelques-uns d’entre