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ARRIEN, LIV. I.

sonne, et les autres du Tripylum, d’où leur sortie était le moins prévue. Une partie lance sur les machines des torches et toutes les matières qui peuvent augmenter l’incendie. Les Macédoniens, repoussant le choc avec violence, font pleuvoir du haut des tours une grêle de traits et roulent d’énormes pierres sur l’ennemi ; il est mis en fuite et chassé dans la ville. Le carnage fut en raison de leur nombre et de leur audace : les uns furent tués en combattant de près les Macédoniens ; les autres eu fuyant, près du rempart dont les ruines embarrassaient le passage déjà trop étroit pour un si grande multitude.

Ceux qui s’étaient avancés par le Tripylum furent repoussés par Ptolémée, garde de la personne du roi, lequel vint à leur rencontre avec les hommes d’Addée et de Timandre, et quelques troupes légères. Pour comble de malheur, dans leur retraite, comme ils se pressaient en foule sur un pont étroit qu’ils avaient jeté, le pont rompit sous le poids dont il était chargé ; ils périrent en partie, tombant dans le fossé, partie écrasés par les leurs, ou accablés d’une grêle de traits. Le plus grand carnage fut aux portes, que l’excès du trouble avait fait fermer trop précipitamment : craignant que les Macédoniens, mêlés aux fuyards, n’entrassent avec eux dans la ville, ils laissèrent dehors une partie des leurs, qui furent tués par les Macédoniens aux pieds des remparts. La ville était sur le point d’être prise, si Alexandre, dans l’intention de la sauver, et d’amener les habitans à une capitulation, n’eût fait sonner la retraite. Le nombre des morts fut de mille du côté des assiégés, et de quarante environ du côté des Macédoniens, parmi lesquels Ptolémée, Cléarcus toxarque, Addée Chiliarque, et plusieurs des premiers officiers.

Cependant les généraux Persans, Orontobates et Memnon, considérant que l’état des choses ne leur permettait pas de soutenir un long siége, que les remparts étaient détruits ou ébranlés, la plupart des soldats tués dans les sorties, ou mis, par leurs blessures, hors de combat ; prenant conseil de leur situation, mettent le feu vers la seconde veille de la nuit, à une tour de bois, qu’ils avaient dressée en face des machines de l’ennemi, à leur propre magasin d’armes, aux maisons voisines des remparts : tout s’embrase, et la flamme, qui s’élance de la tour et des portiques, agitée par les vents, étend au loin l’incendie. Les assiégés se réfugièrent, partie dans la citadelle de l’île, partie dans celle de Salmacis.

Alexandre, instruit de ce désastre par des transfuges qui s’y étaient soustraits, et apercevant ce vaste incendie, donne ordre aux Macédoniens, quoiqu’au milieu de la nuit, d’entrer dans la ville, de massacrer les incendiaires, et d’épargner ceux qui seraient retirés dans leurs maisons.

Au lever de l’aurore, découvrant le double fort occupé par les Perses et les troupes à leur solde, il renonça à l’attaquer, parce que, défendu par sa position, il aurait coûté beaucoup de temps à emporter, et parce que la ruine totale de la ville rendait cette prise moins importante. Ayant enseveli ses morts, il donna ordre de conduire les machines à Tralles ; fit raser la ville, et laissant dans la Carie trois mille hommes de pied et deux cents chevaux sous les ordres de Ptolémée, il partit pour la Phrygie.

Il établit Ada sur toute la Carie. Ada, fille d’Hécatomnus, avait été en même temps, suivant la loi des Cariens, femme et sœur d’Hidriée ; et d’après la coutume asiatique qui, depuis Sémiramis,