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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 1, 1835.djvu/856

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ARRIEN, LIV. V.

manière dont les Romains en usèrent pour traverser l’Ister et le Rhin, et en usent encore toutes les fois qu’il faut passer l’Euphrate et le Tigre.

Je vais décrire ce dernier procédé, parce qu’il est plus prompt, plus facile, et qu’il est bon de le connaître.

À un signal convenu on abandonne un bâtiment au courant, non en droite ligne, mais obliquement, comme s’il était retenu par la poupe ; on rompt, à force de rames, l’effort du courant qui l’entraîne. Parvenu au lieu désigné, on jette de la proue de grands cônes d’osier remplis de pierres dont la pesanteur l’arrête. On tourne en face, et on fixe de la même manière la proue d’un autre bâtiment à la distance nécessaire ; on jette de l’un à l’autre, dans la direction du passage, des pièces de bois que l’on assujettit par des traverses ; on procède ainsi d’un bâtiment à l’autre jusqu’à l’entière confection du pont, aux extrémités duquel on place des pièces de descente en bois que l’on fixe sur la rive, et qui servent à-la-fois et à faire passer commodément les chevaux et le bagage, et à retenir la masse du pont. L’ouvrage s’exécute en peu de temps, et en ordre au milieu du tumulte, sans que le bruit et le mouvement des travailleurs puissent empêcher de recevoir et d’exécuter promptement les ordres.

Alexandre, après avoir passé l’Indus, sacrifie selon le rit grec, et arrive à Taxile, ville riche et populeuse, la plus grande de celles situées entre l’Indus et l’Hydaspe. Taxile, hyparque, et les Indiens reçurent, avec les plus grands témoignages d’amitié, ce prince qui ajouta à leurs possessions celles des contrées voisines qu’ils lui demandèrent.

Il reçoit des envoyés d’Abissare, roi des Indes vers les montagnes, qui lui députe son frère à la tête des principaux du pays ; d’autres lui apportent les présens de Doxaris.

Alexandre offre les sacrifices accoutumés ; fait célébrer des jeux gymniques et équestres ; établit Philippe satrape de la contrée ; et jette en garnison à Taxile les soldats que leurs blessures ont mis horss de combat.

Chap. 3. On annonce que de l’autre côté de l’Hydaspe Porus attend Alexandre avec toute son armée, pour lui barrer le passage ou le combattre ensuite.

Alexandre renvoie alors Cœnus vers l’Indus pour en retirer les bâtimens qui lui avaient servi à le traverser, avec ordre d’en démonter les pièces et de les conduire vers l’Hydaspe. Cet ordre est exécuté ; les plus petits sont rompus en deux, les plus grands en trois ; on les transporte sur des chars jusqu’au fleuve, on les y rassemble, on les met à flots.

Alexandre, réunissant toutes les troupes qui l’avaient accompagné à Taxile, et cinq mille Indiens sous la conduite de leur prince et des principaux du pays, marche vers l’Hydaspe, et campe sur ses bords. Porus parut de l’autre côté avec toute son armée et ses éléphans. Il défendait lui-même le passage du fleuve en face d’Alexandre, après avoir envoyé des détachemens sur les autres points où l’on aurait pu tenter de le traverser.

À la vue de ces dispositions, Alexandre, pour tromper et inquiéter Porus sur les siennes, divisa aussi son armée en plusieurs corps sous de nouveaux commandans, qu’il jeta sur différens points, et qui devaient reconnaître les gués et ravager le pays ennemi. Il affecta de rassembler, dans son camp, des provisions immenses tirées des pays en-deçà de l’Hydaspe, pour laisser croire à Porus qu’il attendrait l’hiver, où les eaux de ce fleuve sont plus basses. En effet, elles étaient alors