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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/102

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pensa dès lors à marcher vers Cannes, entièrement détruite l’année précédente, mais dont la citadelle avait paru aux Romains assez avantageusement située, pour y établir leurs magasins.

Annibal s’approcha en grand secret de cette forteresse et la surprit. Ce coup de partie déconcertait tout le plan d’opérations des Romains qui ne pouvaient plus côtoyer l’armée carthaginoise, ni la tenir en respect, sans descendre eux-mêmes dans la plaine, et se voir contraints à combattre.

Le pays où s’établissait Annibal était ruiné, et restait sans défense. On dut craindre que la fidélité des alliés ne tînt plus contre des événemens qui assuraient une si grande supériorité à l’ennemi ; et qu’ainsi, il ne se fortifiât dans cette campagne au point de pouvoir encore long-temps continuer la guerre. Le génie d’Annibal forçait donc les Romains à livrer cette bataille qu’ils voulaient éviter.

Le grand effort qu’on se proposait de faire, détermina le sénat à mettre sur pied la plus nombreuse armée qui eût encore paru. On augmenta jusqu’à cinq mille le nombre des hommes dans les légions ; on joignit huit légions à celles qui composaient ordinairement les deux armées consulaires, de sorte qu’il y eut en campagne seize légions.

Il s’agissait de nommer de nouveaux consuls ; et tous les regards se tournent vers L. Æmilius Paulus, qui s’était acquis de la réputation dans la guerre d’Illyrie, et passait pour un des plus habiles généraux de la république. Malheureusement cette sage élection, et la résolution vigoureuse du peuple romain furent paralysées par le mauvais choix qu’on fit de son collègue Terentius Varro, homme sans talens comme sans expérience, élevé par une intrigue.

Dès que Paul Émile et Varron arrivèrent au camp, ils firent connaître les intentions du sénat, et, selon l’usage vicieux admis dans le service militaire, prirent leur jour de commandement, qui roulait alternativement sur chacun des deux consuls.

L’armée romaine se trouvait forte de quatre-vingt mille hommes de pied, et d’environ sept mille chevaux. Les Carthaginois avaient quarante mille hommes d’infanterie, et dix mille de cavalerie ; mais ces troupes se composaient de soldats aguerris ; un seul chef les commandait, et ce chef était Annibal.

Les Romains se mirent en marche et campèrent environ à six mille des Carthaginois. Comme on entrait dans un pays de plaines, Paul Émile ne jugea pas à propos de combattre, désirant attirer l’ennemi sur un terrain où l’infanterie serait plus propre à décider le sort de la bataille. Varron ne comprit rien aux conseils judicieux d’Æmilius, et de là cette division funeste qui tournait toujours à l’avantage du général carthaginois.

Sur l’avis des mouvemens opérés par les Romains, Annibal se mit à la tête de ses troupes légères et de sa cavalerie, et se hâta de les joindre, espérant les surprendre pendant sa marche. Il y eut d’abord, en effet, quelque confusion parmi eux ; mais comme Æmilius avait obtenu de Varron que plusieurs cohortes marchassent à la tête de l’armée, pour appuyer les extraordinaires, elles résistèrent à la première charge ; tandis que les vélites et la cavalerie, ayant passé entre les intervalles de cette infanterie pesante, chargèrent les troupes carthaginoises avec beaucoup de courage et de succès.

Le combat s’échauffa et dura jusqu’à la nuit. Cependant les Romains faisaient filer successivement des manipules pour former une bonne ligne capable de soutenir les combattans. Les