Aller au contenu

Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/103

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 95 —

Carthaginois qui n’avaient pu prendre ces précautions, se virent repoussés et perdirent du monde.

Annibal fut très sensible à cet échec. Il n’avait pas engagé ce combat avec toutes ses troupes légères et sa cavalerie dans le dessein d’amorcer Varron, et d’augmenter sa présomption par ce premier avantage ; il attendait mieux de son entreprise, et craignant que ce mauvais succès n’eût découragé ses troupes, il se crut obligé de les ranimer par un discours.

Cependant Annibal avait réussi dans son but d’attirer les Romains en plaine. La forteresse de Cannes, dont les provisions étaient depuis long-temps épuisées, ne devenait pour lui qu’une position sans importance, et contraint de faire retraite après son attaque d’avant-garde, il se détourna du côté des montagnes, et réussit à se placer entre elles et les Romains.

Les consuls, laissant à leur droite les Carthaginois, s’avancèrent vers Cannes, et s’approchèrent de l’Aufide (Ofento). Paul Émile qui ne pouvait plus retirer son armée sans danger, prend le parti de camper avec les deux tiers des troupes sur la gauche du fleuve du côté où elles arrivent, et le fait traverser au troisième tiers qui va former un petit camp sur la rive droite.

D’après ces dispositions, Annibal campe également sur les bords du fleuve ; et, dans l’espérance qu’on en viendrait bientôt à une affaire générale, il harangue ses soldats. « Jetez les yeux, leur dit-il, sur tout le pays qui vous environne, et avouez avec moi que si les Dieux vous donnaient le choix, vous ne pourriez rien souhaiter de plus avantageux, supérieurs en cavalerie comme vous l’êtes, que de disputer l’empire du monde dans un pareil terrain. »

Tous convinrent, et la chose était claire, qu’ils ne feraient pas un autre choix.

« Rendez donc grâces aux Dieux, continue Annibal, d’avoir amené ici les ennemis pour vous en faire triompher. Sachez-moi gré aussi de réduire les Romains à la nécessité de combattre. Quelque heureux que soit pour nous le champ de bataille, il faut nécessairement qu’ils y entrent, ils ne peuvent plus l’éviter. Il ne me conviendrait pas de discourir longtemps pour vous encourager à faire votre devoir. Cette précaution était bonne lorsque vous n’aviez point encore essayé vos forces avec les Romains, et j’eus soin alors de vous montrer, par une foule d’exemples, qu’ils n’étaient pas si formidables que l’on pensait. Mais après trois grandes victoires consécutives, que faut-il pour vous élever le courage et vous inspirer de la confiance, que le souvenir de vos propres exploits ? Dans les combats précédens, vous vous êtes rendus maîtres du plat pays, et de toutes les richesses qu’il contenait ; c’est ce que je vous avais promis d’abord, et je vous ai tenu parole. Mais dans le combat d’aujourd’hui, il s’agit des villes et des richesses qu’elles renferment. Si vous les emportez, toute l’Italie passe sous le joug. Plus de peines, plus de périls pour vous. La victoire vous met en possession de toutes les richesses des Romains, et assujétit toute la terre à votre domination. Combattons donc. Il n’est plus question de parler ; il faut agir. J’espère, de la protection des Dieux, que vous verrez dans peu l’effet de mes promesses. »

Ce discours, rapporté par Polybe, en homme de guerre et en historien, mérita les applaudissemens de l’assem-