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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/104

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blée. Les ornemens que Tite-Live ajoute sont d’un déclamateur, et eussent fait hausser les épaules à l’auditoire. Annibal remercia ses troupes de la confiance qu’elles lui témoignaient, et s’occupa des préparatifs du combat.

Bientôt même il offrit le défi à Paul Émile ; mais le consul refusa, se contentant de fortifier son camp, d’établir des postes, de couvrir ses convois et ses fourrages ; car il persistait dans son projet de forcer les Carthaginois à décamper, par la disette des vivres, et de les attirer sur un terrain plus favorable à l’infanterie.

Comme il vit, contre son attente, que l’ennemi ne bougeait point, Annibal fit rentrer son armée, et ses Numides passèrent le fleuve afin de se tenir à portée de tomber sur tout ce qui sortirait du petit camp pour aller à l’eau ou au fourrage. Cette cavalerie harcela plusieurs partis, poussa jusqu’aux retranchemens, et empêcha les Romains d’approcher de la rivière.

Piqué de cette insulte, Varron brûla d’envie de combattre, et les soldats manifestaient la même impatience ; car l’homme une fois déterminé à braver les plus grands périls, ne souffre rien avec plus de chagrin, que la lenteur et le délai.

Le jour du commandement étant revenu pour Varron, il ordonna aux soldats du grand camp de passer l’Aufide ; les rapprocha de ceux du petit camp ; et forma sa ligne de bataille. De son côté, Annibal fit aussi traverser le fleuve à ses troupes, en deux endroits, et les armées furent en présence.

Les Romains regardaient le midi, et appuyaient la droite à l’Aufide en lui tournant un peu le dos, parce que le fleuve, coulant du sud à l’est, ouvrait un angle derrière eux. Les Carthaginois voyaient le Nord, et avaient l’Aufide sur leur gauche. Les deux armées recevaient de côté les rayons du soleil levant.

L’infanterie combattait alors en échiquier, par manipules, sur dix de profondeur, avec des intervalles égaux aux fronts. Varron conserva le fond de cette ordonnance ; mais il donna aux manipules moins de front que de profondeur, et resserra ensuite les intervalles dans des proportions relatives.

C’est-à-dire que chaque légion étant forte de cinq mille hommes, et les manipules des hastaires et des princes donnant cent soixante, il rangea d’abord les hastaires sur dix de front et seize de profondeur. Les princes ayant pris la même disposition, resserrèrent aussi leurs intervalles, et formèrent encore l’échiquier ; mais au moment de l’action, ils s’enchâssèrent avec la première ligne.

On ne peut supposer, comme le disent tous les écrivains militaires, que Varron attribuât les avantages remportés par Annibal à la compacité de son ordonnance, et que cette raison lui fit altérer le front de ses manipules, afin d’opposer une ligne plus profonde à l’ennemi.

Dans les combats précédens, où l’infanterie romaine se mêle avec les carthaginois, elle réussit à percer sa ligne ; et, ce qui est remarquable, elle la perce aux points où combattent ses meilleures troupes ; elle renverse les Africains.

Mais est-il bien certain que l’armée carthaginoise combattit sur un ordre plus profond que les légions romaines ? Cette opinion devient peu probable, quand on examine l’organisation des troupes de Carthage, et surtout la composition de son infanterie.

Annibal, il faut le dire, était trop bon observateur pour comprimer l’élan de ces gaulois vifs et impétueux, dont les