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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/126

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Si les Africains qui formaient le centre de la ligne d’Asdrubal s’étaient montrés moins bien disciplinés, tout était perdu. Mais ces braves gens se retirèrent en bon ordre, à rangs serrés, et sauvèrent les débris de l’armée.

Nous avons cité plusieurs fois l’action mémorable d’Ilinga, et surtout en parlant de la quatrième disposition de Végèce, qui fait avancer les deux ailes où l’on a placé ses meilleures troupes, tandis que le centre reste en arrière. Scipion modifia cet ordre de bataille avec beaucoup de finesse, et c’est ainsi que les Grecs l’entendaient, en enseignant la tactique dans les écoles. Ils n’exigeaient pas une imitation servile des leçons du maître ; c’étaient autant de thèmes sur lesquels on devait travailler d’imagination.

On reproche au général carthaginois de ne s’être pas arrêté pour pénétrer l’intention de son adversaire, après la disparition soudaine de la cavalerie, et surtout lorsqu’il vit les ailes se séparer tout-à-coup du centre. Mais peut-être Asdrubal connut-il la ruse sans pouvoir y remédier. Scipion n’ayant découvert son dessein qu’au moment où il se trouvait en mesure d’attaquer, Asdrubal se serait perdu sans ressources, en changeant alors son ordre de bataille.

La position du général romain semble avoir été des plus critiques. Son armée comptait un tiers de combattans de moins que celle d’Asdrubal. Il ne pouvait tirer aucun avantage du terrain, le champ de bataille présentant une plaine rase, toujours favorable à celui qui peut développer une cavalerie plus nombreuse ; et, ce qui compliquait encore ses embarras, et devait lui donner de vives inquiétudes, une grande partie de ses troupes était composée d’Espagnols dont il se défiait. En les opposant à leurs compatriotes, Scipion leur donnait un motif de plus pour le trahir ; en leur mettant les Africains en tête, il les exposait à une défaite certaine. Avouons qu’un général doit avoir bien des ressources dans l’esprit pour s’élever au-dessus de tous ces périls.

Cependant Scipion, jeune, victorieux, avide de gloire, sentant ses forces et son génie, ne pouvait borner ses succès aux conquêtes faites en Espagne ; aussi, après avoir contraint les Carthaginois d’abandonner tout-à-fait ce pays, il se hâta de revenir à Rome, pour y proposer d’attaquer l’ennemi au centre même de sa puissance.

Annibal avait déjà soutenu seize ans la guerre en Italie, avant que les Romains s’avisassent d’une semblable diversion. Bien que ce parti fût le meilleur et sans contredit le plus sage, Scipion essuya des contradictions dans le projet qu’il en avait formé. Le vieux Fabius et d’autres sénateurs qu’effrayait encore l’ombre d’Annibal, et qui croyaient toujours la voir menacer Rome, s’opposèrent à cette expédition.

Scipion en fit lui-même les apprêts. L’enthousiasme des peuples de l’Italie, impatiens de voir enfin leur pays affranchi de l’armée carthaginoise, le mit en état de réunir environ trente mille hommes de pied et deux mille sept cents chevaux. Par leurs soins, il put aussi équiper une flotte de quarante galères, de quatre cents vaisseaux de transport, et aborda sur la côte d’Afrique. Bientôt il investit en même temps Utique et Tunis.

Les Carthaginois lui opposèrent d’abord deux grandes armées commandées par Asdrubal et le roi Syphax. Scipion les défit par un de ces coups hardis que l’on trouve surtout dans l’histoire militaire des anciens.

Il avait remarqué que les huttes sous lesquelles les Carthaginois campaient étaient de bois et de branchages, et