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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/191

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Des détachemens romains, envoyés à la découverte, rapportèrent qu’ils avaient marché sur les traces de plusieurs corps de cavalerie ; l’ennemi se retirait de toutes parts. Crassus, que cette nouvelle acheva de séduire, s’abandonna entièrement à son guide, et prit la route de Carrhæ. Il fortifia cette place, et y mit une garnison.

Il arriva ensuite après un petit nombre de marches dans des plaines sablonneuses et stériles, où l’on ne trouvait pas même de l’eau. Mais tandis que son armée, découragée par ces apparences, continuait sa marche, quelques cavaliers de l’avant-garde se montrèrent, portant sur leurs visages tous les signes de la frayeur.

Le consul était la dupe de sa confiance dans Abgare, qui sut lui persuader que les Parthes ne tiendraient point devant ses troupes, et qu’en accélérant sa marche, il les empêcherait de rassembler leurs forces. Crassus avait ainsi quitté la rive de l’Euphrate qui servait à le couvrir, et lui amenait ses convois, pour s’engager dans des plaines arides qui n’offrent aucune ressource à une armée, et où l’infanterie ne peut plus trouver d’appui contre une cavalerie formidable.

Tous les historiens disent que le consul, à l’approche de l’ennemi, disposa ses troupes sur un immense carré.

Nous connaissons le détail de cette expédition par Plutarque, Appien qui l’a copié, et par Dion Cassius. Ces Grecs, qui vivaient dans un temps où la tactique des Romains avait déjà perdu de son ancien lustre, adaptèrent sans cesse leurs récits militaires aux idées qu’ils se faisaient de la phalange ; Plutarque et Appien appellent donc la disposition que prit Crassus un carré profond à double front.

Mais c’était combiner deux choses très différentes entre elles dans le langage des tacticiens. Les mots plintion et amphistomos, dont se sert Plutarque, signifiaient, le premier, un carré vide à quatre faces ; l’autre, une phalange partagée en deux sections égales, adossées l’une à l’autre, de manière à faire front des deux côtés, et à former un carré plein sur trente-deux hommes de profondeur. Ainsi l’idée d’un carré vide à quatre faces (plintion) se perd, dès que Plutarque l’appelle amphistomos, double phalange, ou deux phalanges jointes ensemble afin de faire front de deux côtés.

Crassus s’était d’abord proposé de ranger toutes ses légions sur une seule ligne, suivant le conseil de Cassius, qui voulait se mettre à l’abri d’être enveloppé par l’ennemi, en lui présentant un front d’une grande étendue. Mais comme cette disposition n’eût servi qu’à rendre l’ordre de bataille plus faible, que l’on s’exposait à se voir percé par quelque endroit, sans remédier au défaut d’appui, Crassus prit un parti qui valait beaucoup mieux.

Son armée, forte de sept légions, et rangée sur une seule ligne, fut partagée en trois grandes sections, chacune de vingt-quatre cohortes. Crassus divisa ensuite chaque section en deux parties égales, et ordonna qu’une de ces parties (douze cohortes) défilât derrière l’autre, et s’y plaçât dos à dos, afin que les deux lignes fussent en état de faire front en tête et en queue[1].

La manœuvre exécutée sur toute la ligne, il en résulta trois grands corps, ou, si vous voulez, trois carrés pleins, séparés par autant de distance qu’en mesuraient les douze cohortes, qui entrèrent en seconde ligne. La cavalerie, forte de quatre mille chevaux, se plaça

  1. Voyez l’Atlas.