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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/246

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jours : serait-il possible aujourd’hui d’obtenir un pareil résultat ?

« Les bras de nos soldats ont autant de force et de vigueur que ceux des anciens Romains ; nos outils de pionniers sont les mêmes ; nous avons un agent de plus, la poudre. Nous pouvons donc élever des remparts, creuser des fossés, couper des bois, bâtir des tours en aussi peu de temps et aussi bien qu’eux ; mais les armes offensives des modernes ont une toute autre puissance, et agissent d’une manière toute différente que les armes offensives des anciens.

« Les Romains doivent la constance de leurs succès à la méthode dont ils ne se sont jamais départis, de se camper tous les jours dans un camp fortifié, de ne jamais donner bataille sans avoir derrière eux un camp retranché pour leur servir de retraite et renfermer leurs magasins, leurs bagages et leurs blessés. La nature des armes dans ce siècle était telle, que dans ces camps ils étaient non seulement à l’abri des insultes d’une armée égale, mais même d’une armée supérieure ; ils étaient les maîtres de combattre ou d’attendre une occasion favorable. Marius est assailli par une nuée de Cimbres et de Teutons ; il s’enferme dans son camp, y demeure jusqu’au jour, où l’occasion se présente favorable ; il sort alors précédé par la victoire. César arrive près du camp de Cicéron ; les Gaulois abandonnent celui-ci, et marchent à la rencontre du premier : ils sont quatre fois plus nombreux. César prend position en peu d’heures, retranche son camp, y essuie patiemment les insultes et les provocations d’un ennemi qu’il ne veut pas combattre encore ; mais l’occasion ne tarde pas à se présenter belle ; il sort alors par toutes les portes ; les Gaulois sont vaincus.

« Pourquoi donc une règle si sage, si féconde en résultats, a-t-elle été abandonnée par les généraux modernes ? Parce que les armes offensives ont changé de nature. Les armes de main étaient les armes principales des anciens ; c’est avec sa courte épée que le légionnaire a vaincu le monde ; c’est avec la pique macédonienne qu’Alexandre a conquis l’Asie. L’arme principale des modernes est l’arme de jet, le fusil, cette arme supérieure à tout ce que les hommes ont jamais inventé. Aucune arme défensive ne peut en parer l’effet ; les boucliers, les cottes de mailles, les cuirasses, reconnus impuissans, ont été abandonnés. Avec cette redoutable machine, un soldat peut, en un quart d’heure, blesser ou tuer soixante hommes ; il ne manque jamais de cartouches, parce qu’elles ne pèsent que six gros ; la balle atteint à cinq cents toises ; elle est dangereuse à cent vingt toises, très meurtrière à quatre-vingt-dix toises.

« De ce que l’arme principale des anciens était l’épée ou la pique, leur formation habituelle a été l’ordre profond. La légion et la phalange, dans quelque situation qu’elles fussent attaquées, soit de front, soit par le flanc droit ou par le flanc gauche, faisaient face partout sans aucun désavantage : elles ont pu camper sur des surfaces de peu d’étendue, afin d’avoir moins de peine à en fortifier les pourtours, et pouvoir se garder avec le plus petit détachement. Une armée consulaire renforcée par des troupes légères et des auxiliaires, forte de vingt-quatre mille hommes d’infanterie, de dix-huit cents chevaux, en tout près de trente mille hommes, campait dans un carré de trois cent trente toises de côté, ayant treize cent quarante-quatre toises de pourtour ou vingt-un hommes par toise ; chaque