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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/247

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homme portant trois pieux, ou soixante-trois pieux par toise courante. La surface du camp était de onze mille toises carrées ; trois toises et demie par homme, en ne comptant que les deux tiers des hommes, parce que au travail cela donnait quatorze travailleurs par toise courante : en travaillant chacun trente minutes au plus, ils fortifiaient leur camp et le mettaient hors d’insulte.

« De ce que l’arme principale des modernes est l’arme de jet, leur ordre habituel a du être l’ordre mince, qui seul leur permet de mettre en jeu toutes leurs machines de jet. Ces armes atteignant à des distances très-grandes, les modernes tirent leur principal avantage de la position qu’ils occupent : s’ils dominent, s’ils enfilent, s’ils prolongent l’armée ennemie, elles font d’autant plus d’effet. Une armée moderne doit donc éviter d’être débordée, enveloppée, cernée ; elle doit occuper un camp ayant un front aussi étendu que sa ligne de bataille elle-même ; que si elle occupait une surface carrée et un front insuffisant à son déploiement, elle serait cernée par une armée de force égale, et exposée à tout le feu de ses machines de jet, qui convergeraient sur elle, et atteindraient sur tous les points du camp, sans qu’elle pût répondre à un feu si redoutable qu’avec une petite partie du sien. Dans cette position, elle serait insultée, malgré ses retranchemens, par une armée égale en force, même par une armée inférieure. Le camp moderne ne peut être défendu que par l’armée elle-même, et, en l’absence de celle-ci, il ne saurait être gardé par un simple détachement.

« L’armée de Miltiade à Marathon, ni celle d’Alexandre à Arbelles, ni celle de César à Pharsale, ne pourraient maintenir leur champ de bataille contre une année moderne d’égale force ; celle-ci, ayant un ordre de bataille étendu, déborderait les deux ailes de l’armée grecque ou romaine ; ses fusiliers porteraient à la fois la mort sur son front et sur ses deux flancs ; car les armés à la légère, sentant l’insuffisance de leurs flèches et de leurs frondes, abandonneraient la partie pour se réfugier derrière les pesamment armés, qui alors, l’épée où la pique à la main, s’avanceraient au pas de charge pour se prendre corps à corps avec les fusiliers ; mais arrivés à cent vingt toises, ils seraient accueillis, par trois côtés, par un feu de ligne qui porterait le désordre, et affaiblirait tellement ces braves et intrépides légionnaires, qu’ils ne soutiendraient pas la charge de quelques bataillons en colonne serrée, qui marcheraient alors à eux la baïonnette au bout du fusil. Si sur le champ de bataille il se trouve un bois, une montagne, comment la légion ou la phalange pourrait-elle résister à cette nuée de fusiliers qui s’y seront placés ? Dans les plaines rases même, il y a des villages, des maisons, des fermes, des cimetières, des murs, des fossés, des haies ; et s’il n’y en a pas, il ne faudra pas un grand effort de génie pour créer des obstacles et arrêter la légion ou la phalange sous le feu meurtrier qui ne tarde point à la détruire. On n’a point fait mention des soixante ou quatre-vingts bouches à feu qui composent l’artillerie de l’armée moderne, qui prolongeront les légions ou phalanges de la droite à la gauche, de la gauche à la droite, du front à la queue, vomiront la mort à cinq cents toises de distance. Les soldats d’Alexandre, de César, les héros de la liberté d’Athènes et de Rome fuiront en désordre, abandonneront leur champ de bataille à ces demi-dieux armés de la foudre de Jupiter. Si les Romains furent presque