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POLYBE, LIV. I.

approchait, composée de vaisseaux de toutes sortes, il avance au devant des Romains pour présenter la bataille, croyant qu’après son premier exploit il n’avait qu’à paraître pour vaincre. D’un autre côté les corvettes qui prennent les devans, annoncèrent à l’escadre qui venait de Syracuse que les ennemis n’étaient pas loin. Les Romains, ne se croyant pas en état de hasarder une bataille, virèrent de bord vers une petite ville de leur domination, où il n’y avait pas à la vérité de port, mais où des rochers s’élevant de terre formaient tout autour un abri fort commode. Ils y débarquèrent, et, y ayant disposé tout ce que la ville put leur fournir de catapultes et de balistes, ils attendirent les Carthaginois. Ceux-ci ne furent pas plus tôt arrivés qu’ils pensèrent à les attaquer. Ils s’imaginaient que, dans la frayeur où étaient les Romains, ils ne manqueraient pas de se retirer dans cette bicoque, et de leur abandonner leurs vaisseaux. Mais l’affaire ne tournant pas comme ils avaient espéré, et les Romains se défendant avec vigueur, ils se retirèrent de ce lieu, où d’ailleurs ils étaient fort mal à leur aise, et, emmenant avec eux quelques vaisseaux de charge qu’ils avaient pris, ils allèrent gagner je ne sais quel fleuve, où ils demeurèrent, pour observer quelle route prendraient les Romains.

Junius, ayant terminé à Syracuse tout ce qu’il y avait à faire, doubla le cap Pachynus, et cingla vers Lilybée, ne sachant rien de ce qui était arrivé à ceux qu’il avait envoyés devant. Cette nouvelle étant venue à Carthalon, il mit en diligence à la voile, dans le dessein de livrer bataille au consul, pendant qu’il était éloigné des autres vaisseaux. Junius aperçut de loin la flotte nombreuse des Carthaginois ; mais, trop faible pour soutenir un combat, et trop proche de l’ennemi pour prendre la fuite, il prit le parti d’aller jeter l’ancre dans des lieux escarpés et absolument inabordables, résolu à tout souffrir plutôt que de livrer son armée à l’ennemi. Carthalon se garda bien de donner bataille aux Romains dans des lieux si difficiles ; il se saisit d’un promontoire, y mouilla l’ancre, et ainsi placé entre les deux flottes des Romains, il examinait ce qui se passait dans l’une et dans l’autre.

Une tempête affreuse commençant à menacer, les pilotes carthaginois, gens habiles dans les routes et experts sur ces sortes de cas, prévirent ce qui allait arriver. Ils en avertirent Carthalon et lui conseillèrent de doubler au plus tôt le cap Pachynus, et de se mettre là à l’abri de l’orage. Le commandant se rendit prudemment à cet avis. Il fallut beaucoup de peine et de travail pour passer jusqu’au-delà du cap, mais enfin on passa, et on y mit la flotte à couvert. La tempête éclate enfin. Les deux flottes romaines, se trouvant dans des endroits exposés et découverts en furent si cruellement maltraitées, qu’il n’en resta pas même une planche dont on pût faire usage. Cet accident, qui relevait les affaires des Carthaginois et affermissait leurs espérances, acheva d’abattre les Romains, déjà affaiblis par les pertes précédentes ; ils quittèrent la mer et tinrent la campagne, cédant aux Carthaginois une supériorité qu’ils ne pouvaient plus leur disputer, peu sûrs même d’avoir par terre tout l’avantage sur eux.

Sur cette nouvelle, on ne put s’empêcher à Rome et au camp de Lilybée de répandre des larmes sur le malheur de la république ; mais cela ne fit pas abandonner le siége que l’on avait commencé. Les munitions continuèrent à venir par terre, sans que personne fût