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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/401

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POLYBE, LIV. I.

que répéter ce que d’autres ont dit avant nous.

Mathos, Spendius et Autarite, voyant l’humanité dont Amilcar usait avec les prisonniers, craignirent que les Africains et les étrangers, gagnés par cet attrait, ne courussent chercher l’impunité qui leur était offerte ; ils tinrent conseil pour chercher ensemble par quel nouvel attentat ils pourraient mettre le comble à la rébellion : le résultat fut qu’on les convoquerait tous, et que l’on ferait entrer dans l’assemblée un messager comme apportant de Sardaigne une lettre de la part des gens de la même faction qui étaient dans cette île. La chose fut exécutée, et la lettre portait qu’ils observassent de près Gescon et tous ceux qu’il commandait, et contre qui ils s’étaient révoltés à Tunis ; qu’il y avait dans l’armée des pratiques secrètes en faveur des Carthaginois. Sur cette nouvelle prétendue, Spendius recommande à ces nations de ne pas se laisser éblouir à la douceur qu’Amilcar avait eue pour les prisonniers : qu’en les renvoyant, son but n’était pas de les sauver, mais de se rendre par là maître de ceux qui restaient, et de les envelopper tous dans la même punition, dès qu’il les aurait en sa puissance ; qu’ils se gardassent bien de renvoyer Gescon ; que ce serait une honte pour eux de lâcher un homme de cette importance et de ce mérite ; qu’en le laissant aller, ils se feraient un très-grand tort, puisqu’il ne manquerait pas de se tourner contre eux, et de devenir leur plus grand ennemi. Il parlait encore, lorsqu’un autre messager, comme arrivant de Tunis, apporta une lettre semblable à la première. Sur quoi Autarite, prenant la parole, dit qu’il n’y avait pas d’autre moyen de rétablir les affaires, que de ne jamais plus rien espérer des Carthaginois ; que quiconque attendrait quelque chose de leur amitié, ne pouvait avoir qu’une alliance feinte avec les étrangers ; qu’ainsi il les priait de n’avoir d’oreilles, d’attention ni de confiance que pour ceux qui les porteraient aux dernières violences contre les Carthaginois, et de regarder comme traîtres et comme ennemis tous ceux qui leur inspireraient des sentimens contraires ; que son avis était que l’on fît mourir, dans les plus honteux supplices, Gescon, tous ceux qui avaient été pris, et tous ceux que l’on prendrait dans la suite sur les Carthaginois. Cet Autarite avait dans les conseils un très-grand avantage, parce qu’ayant appris, par un long commerce avec les soldats, à parler phénicien, la plupart de ces étrangers entendaient ses discours ; car la longueur de cette guerre avait rendu le phénicien si commun, que les soldats, pour l’ordinaire, en se saluant, ne se servaient pas d’autre langue. Il fut donc loué tout d’une voix, et il se retira comblé d’éloges. Vinrent ensuite des individus de chaque nation, lesquels, par reconnaissance pour les bienfaits qu’ils avaient reçus de Gescon, demandaient qu’on lui fit grâce au moins des supplices. Comme ils parlaient tous ensemble et chacun en sa langue, on n’entendit rien de ce qu’ils disaient : mais dès qu’on commença à entrevoir qu’ils priaient qu’on épargnât les supplices à Gescon, et que quelqu’un de l’assemblée eût crié, frappe ! frappe ! ces malheureux furent assommés à coups de pierres, et emportés par leurs proches comme des gens qui auraient été égorgés par des bêtes féroces. Les soldats de Spendius se jettent ensuite sur ceux de Gescon, qui étaient au nombre d’environ sept cents. On les mène hors des retranchemens : on les conduit à la tête du camp, où d’abord