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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/400

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POLYBE, LIV. I.

avait hérité de son père de beaucoup d’inclination pour les Carthaginois, mais qui leur était encore beaucoup plus attaché, depuis qu’il avait connu le mérite d’Amilcar. Croyant que l’occasion était belle de se gagner l’amitié de ce peuple, il vient au camp, ayant avec lui environ cent Numides. Il approche des retranchemens, et reste là sans crainte, et faisant signe de la main. Amilcar, surpris, lui envoie un cavalier. Il dit qu’il demandait une conférence avec ce général. Comme celui-ci hésitait et avait peine à se fier à cet aventurier, Naravase donne son cheval et ses armes à ceux qui l’accompagnaient, et entre dans le camp, tête levée et avec un air d’assurance à étonner tous ceux qui le regardaient. On le reçut néanmoins, et on le conduisit à Amilcar : il lui dit qu’il voulait du bien à tous les Carthaginois en général, mais qu’il souhaitait surtout d’être ami d’Amilcar ; qu’il n’était venu que pour lier amitié avec lui, disposé de son côté à entrer dans toutes ses vues et à partager tous ses travaux. Ce discours, joint à la confiance et à l’ingénuité avec laquelle ce jeune homme parlait, donna tant de joie à Amilcar, que non-seulement il voulut bien l’associer à ses actions, mais qu’il lui fit serment de lui donner sa fille en mariage, pourvu qu’il demeurât fidèle aux Carthaginois.

L’alliance faite, Naravase vint, amenant avec lui environ deux mille Numides qu’il commandait. Avec ce secours, Amilcar met son armée en bataille ; Spendius s’était aussi joint aux Africains pour combattre et était descendu dans la plaine. On en vient aux mains. Le combat fut opiniâtre, mais Amilcar eut le dessus. Les éléphans se signalèrent dans cette occasion, mais Naravase s’y distingua plus que personne. Autarite et Spendius prirent la fuite. Dix mille des ennemis restèrent sur le champ de bataille, et on fit quatre mille prisonniers. Après cette action, ceux des prisonniers qui voulurent prendre parti dans l’armée des Carthaginois, y furent bien reçus, et on les revêtit des armes qu’on avait prises sur les ennemis ; pour ceux qui ne le voulurent pas, Amilcar les ayant assemblés, leur dit qu’il leur pardonnait toutes les fautes passées, et que chacun d’eux pouvait se retirer où bon lui semblerait ; mais que si dans la suite on prenait quelqu’un portant armes offensives contre les Carthaginois, il n’y aurait aucune grâce à espérer pour lui.

Vers ce même temps, les étrangers qui gardaient l’île de Sardaigne, imitant Mathos et Spendius, se révoltèrent contre les Carthaginois qui y étaient, et ayant enfermé dans la citadelle Bostar, chef des troupes auxiliaires, ils le tuèrent, lui et tout ce qu’il y avait de ses concitoyens. Les Carthaginois jetèrent encore les yeux sur Hannon, et l’envoyèrent là avec une armée ; mais ses propres troupes l’abandonnèrent pour se tourner du côté des rebelles, qui se saisirent ensuite de sa personne et l’attachèrent à une croix. On inventa aussi de nouveaux supplices contre les Carthaginois qui étaient dans l’île, il n’y en eut pas un d’épargné. Après cela on prit les villes, on envahit toute l’île, jusqu’à ce qu’une sédition s’étant élevée, les naturels du pays chassèrent tous ces étrangers, et les obligèrent à se retirer en Italie. C’est ainsi que les Carthaginois perdirent la Sardaigne, île, de l’aveu de tout le monde, très-considérable par sa grandeur, par la quantité d’hommes dont elle est peuplée, et par sa fertilité. Nous n’en dirons rien davantage ; nous ne ferions