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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/440

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POLYBE, LIV. II.

mettre une infidélité plus grande et plus criminelle ; car après avoir effacé de leur souvenir les bienfaits qu’ils avaient reçus des Achéens et l’alliance qu’ils avaient contractée avec eux, il fallait du moins ne leur faire aucun tort, et donner un sauf‑conduit à ceux de cette nation qu’ils avaient dans leur ville : c’est ce que le droit des gens ne permet pas de refuser même à ses ennemis. Les Mantinéens osent néanmoins violer ce droit, et se rendent coupables du plus grand des crimes, et cela pour persuader Cléomène et les Lacédémoniens de la bonne volonté qu’ils avaient à leur égard. Oser massacrer de leurs propres mains des gens qui, les ayant auparavant conquis eux‑mêmes, leur avaient pardonné leur désertion, et qui alors n’étaient chez eux que pour les mettre, eux et leur liberté, à couvert de toute insulte ! se peut‑il rien de plus odieux et de plus perfide ? Quelle vengeance peut‑on tirer de cet attentat, qui paraisse en approcher ? On dira peut‑être qu’après en avoir fait la conquête, on devait les vendre à l’encan avec leurs enfans et leurs femmes. Mais, selon les lois de la guerre, on punit de cette peine ceux mêmes qui n’ont rien fait de criminel. Il aurait donc fallu faire souffrir aux Mantinéens un supplice plus rigoureux ; de sorte que, quand même il leur serait arrivé ce que dit Phylarque, les Grecs n’auraient pas dû en être touchés de compassion ; au contraire, ils auraient dû applaudir à la punition qu’on aurait faite de ce crime. Cependant on ne leur fit rien autre chose que mettre leurs biens au pillage, et vendre les personnes libres à l’encan. Malgré cela, Phylarque, pour dire quelque chose de merveilleux, invente une fable, et une fable qui n’a aucune apparence. Il pense si peu à ce qu’il écrit, qu’il ne fait seulement pas attention à ce qui se passa presque en même temps à l’égard des Tégéates ; car après que les Achéens les eurent conquis, ils ne leur firent rien de semblable à ce qu’il rapporte des Mantinéens. Cependant, si c’est par cruauté qu’ils traitèrent ceux‑ci avec tant de rigueur, apparemment qu’ayant fait la conquête des autres dans le même temps, ils ne les auraient pas plus épargnés. Puisqu’ils n’ont donc traité plus rigoureusement que les seuls Mantinéens, il faut que ceux‑ci aient été plus coupables.

Il conte encore qu’Aristomaque, Argien, personnage d’une naissance illustre, descendu de tyrans, et lui‑même tyran d’Argos, étant tombé entre les mains d’Antigonus et des Achéens, fut relégué à Cenchrée, et qu’on l’y fit mourir dans les supplices les plus injustes et les plus cruels qu’on ait jamais fait souffrir à personne. Toujours semblable à lui‑même, et gardant toujours le même style, il feint qu’Aristomaque, pendant les supplices, jetait des cris dont tous les environs retentissaient ; que les uns eurent horreur de ce crime, que d’autres ne pouvaient le croire ; qu’il y en eut qui, indignés, coururent à la maison où ces cruautés s’exerçaient. Mais c’en est assez sur les déclamations tragiques de cet historien. Pour moi, je crois que, quand Aristomaque n’aurait fait aucune injustice aux Achéens, ses mœurs seules, et les crimes dont il a déshonoré sa patrie, le rendaient digne des derniers supplices. Phylarque a beau dire, pour en donner une grande idée, et pour inspirer à ses lecteurs les sentimens d’indignation où Aristomaque souffrant était lui‑même, qu’il n’était pas seulement tyran, mais qu’il était encore né de tyrans ; c’est ce qu’il pouvait avancer de plus fort et de plus