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POLYBE, LIV. II.

atroce contre son héros. Ce nom seul renferme tout ce que l’on peut imaginer de plus exécrable. À l’entendre seulement prononcer, on conçoit tous les crimes et toutes les injustices qui se peuvent commettre. Je veux qu’on ait fait souffrir à ce personnage des tourmens très-cruels, comme l’assure notre historien ; mais un seul jour de sa vie devait lui en attirer encore de plus cruels. Je parle de celui où Aratus entra par surprise dans Argos, accompagné d’un corps d’Achéens. Après y avoir soutenu de rudes combats pour remettre les Argiens en liberté, et en avoir été chassé, parce que les conjurés qui étaient dans la ville, retenus par la crainte du tyran, n’avaient osé se déclarer, Aristomaque, sous prétexte qu’il y avait des habitans qui étaient entrés dans la conspiration, et avaient favorisé l’irruption des Achéens, se saisit de quatre‑vingts des premiers citoyens, tous innocens de la trahison dont il les soupçonnait, et les fit égorger sous les yeux de leurs amis et de leurs parens.

Je laisse là les crimes du reste de sa vie, et ceux de ses ancêtres. On ne tarirait pas sur une si belle matière. Concluons que ce n’est point une chose indigne que ce tyran ait souffert quelque chose de ce qu’il avait fait souffrir aux autres ; mais qu’il serait indigne qu’il n’en eût rien souffert, et qu’il fût mort dans l’impunité. On ne doit pas non plus se récrier contre Antigonus et Aratus, de ce qu’après l’avoir pris de bonne guerre, ils l’ont fait mourir dans les supplices. Ils l’auraient traité de cette manière pendant la paix, que les gens sensés leur en auraient su bon gré. Que ne méritait‑il donc pas après avoir ajouté à tant d’autres horreurs la perfidie qu’il avait faite aux Achéens ? Réduit, peu de temps auparavant, aux dernières extrémités par la mort de Demetrius, et s’étant dépouillé du titre de tyran, il avait, contre toute espérance, trouvé un asile dans la douceur et la générosité des Achéens, qui non-seulement l’avaient mis à couvert des peines qui étaient dues à sa tyrannie, mais l’avaient encore admis dans leur république, et lui avaient fait l’honneur de lui donner un commandement dans leurs armées. Le souvenir de ces bienfaits s’évanouit presque aussitôt qu’il les eut reçus. Dès qu’il vit quelque possibilité de se rétablir par le moyen de Cléomène, il ne tarda guère à soustraire sa patrie aux Achéens, à quitter leur parti dans un temps où ceux‑ci avaient le plus besoin de secours, et à se ranger du côté des ennemis. Après une pareille infamie, ce n’était pas à Cenchrée qu’il le fallait appliquer aux tourmens et le faire mourir pendant la nuit, on devait le traîner partout, et donner son supplice et sa mort en spectacle à tout le Péloponnèse. Cependant on se contenta de le jeter dans la mer, pour je ne sais quel crime qu’il avait commis à Cenchrée.




CHAPITRE XII.


Fidélité des Mégalopolitains pour les Achéens, leurs alliés. — Autres méprises de Phylarque.


Le même historien, persuadé qu’il est de son devoir de rapporter les mauvaises actions, exagère et raconte avec chaleur les maux qu’ont endurés les Mantinéens, et ne dit pas un mot de la générosité avec laquelle ils furent soulagés par les Mégalopolitains ; comme si le récit des mauvaises actions appartenait plus à l’histoire que celui des actions vertueuses ; comme si le lecteur tirait moins d’instructions des faits

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