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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/442

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POLYBE, LIV. II.

louables que de ceux que l’on doit avoir en horreur. Pour faire valoir la générosité et la modération dont Cléomène usa envers les Mégalopolitains, Phylarque décrit la manière dont il prit leur ville, l’ordre qu’il y mit pour qu’il ne lui fût fait aucun tort ; il parle des courriers que ce roi leur dépêcha aussitôt à Messène, pour leur demander qu’en reconnaissance des ménagemens qu’il avait eus pour leur patrie, ils voulussent bien s’unir d’intérêts et agir de concert avec lui. Il n’oublie pas non plus que les Mégalopolitains ne purent pas souffrir qu’on achevât la lecture de la lettre du roi, et qu’ils assommèrent les messagers à coups de pierre. Mais, ce qui est inséparable de l’histoire, ce qui lui est propre, savoir, les faits où l’on voit briller la constance et la générosité, il ne daigne pas seulement en faire la moindre mention. Il en avait cependant ici une belle occasion. Ceux‑là passent pour honnêtes gens, pour gens d’honneur, qui pensent bien de leurs amis et de leurs alliés, et qui ont le courage de faire connaître ce qu’ils en pensent : on loue, on remercie, on récompense ceux qui, pour la défense de leurs amis et de leurs alliés, regardent d’un œil sec leur ville assiégée et leur patrie ravagée. Que devons‑nous donc penser des Mégalopolitains ? ne méritent‑ils pas que nous en ayons l’idée du monde la plus grande et la plus magnifique ? D’abord ils virent leur pays désolé par Cléomène ; leur fidélité pour les Achéens leur fit ensuite perdre entièrement leur patrie, et enfin, malgré une occasion presque miraculeuse qui se présenta de la recouvrer, ils aimèrent mieux rester privés de leur pays, de leurs tombeaux, de leurs sacrifices, de leur patrie, de leurs biens, en un mot de tout ce que les hommes ont de plus cher, que de manquer à ce qu’ils devaient à leurs alliés. S’est‑il jamais rien fait, ou se peut‑il rien faire de plus héroïque ? est‑il quelque action sur laquelle un historien puisse à plus juste titre arrêter un lecteur ? Pour porter les hommes à garder la foi des traités et à former des républiques justes et solides, y a‑t‑il un fait plus propre que celui‑là ? Cependant Phylarque n’en dit pas un mot ; c’est que, manquant de discernement, il ne savait pas choisir et distinguer les faits qui avaient le plus d’éclat, et qu’il convient le plus à un historien de rapporter.

Il dit encore que, sur le butin fait à Mégalopolis, les Lacédémoniens prirent six mille talens, dont, selon la coutume, il devait en revenir deux mille à Cléomène. Qui ne sera pas surpris ici de voir cet auteur ignorer ce que tout le monde sait des richesses et des forces des Grecs, chose cependant dont un historien doit être parfaitement instruit ? Pour moi, j’ose assurer que, quand on vendrait tous les biens et les mobiliers des peuples du Péloponnèse, en exceptant néanmoins les hommes, on ne ramasserait pas une pareille somme. Et je ne parle pas seulement de ces temps malheureux, où cette province fut entièrement ruinée par les rois de Macédoine, et encore plus par les guerres civiles ; mais même de nos jours, où cependant les Péloponnésiens vivent dans une parfaite union, et sont dans l’abondance de toutes choses. Ce que j’avance ici, ce n’est pas sans raison. En voici la preuve. Il n’y a personne qui ne sache que, quand les Athéniens, pour faire avec les Thébains la guerre aux Lacédémoniens, envoyèrent dix mille hommes et équipèrent cent galères, on ordonna qu’il se ferait une estimation des terres, des maisons, et de tout le reste des biens de l’Attique, pour lever ensuite l’argent nécessaire aux frais de la guerre. La chose fut exécutée, et