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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/452

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POLYBE, LIV. III.

qu’avait eu leur guerre contre Philippe, les méprisaient, comme j’ai dit plus haut, non-seulement appelèrent à leur secours Antiochus, mais la colère les emporta jusqu’à prendre la résolution de tout entreprendre et de tout souffrir pour se venger. Le prétexte fut de remettre les Grecs en liberté ; c’est à quoi ils exhortaient et animaient sans raison toutes les villes, les parcourant avec Antiochus, l’une après l’autre. Et enfin le commencement fut la descente d’Antiochus à Démétriade.

Je me suis arrêté long-temps sur cette distinction, non que j’eusse en vue de censurer les historiens, mais parce que l’instruction des lecteurs le demandait. Car de quelle utilité est pour les malades un médecin qui ne connaît pas les causes des maladies ? que peut-on attendre d’un ministre d’état qui ne connaît ni la raison ni l’origine des affaires qui arrivent dans un royaume ? Comme il n’y a pas d’apparence que le premier donne jamais de remède convenable, il n’est pas non plus possible que l’autre, sans la connaissance de ce que nous venons de dire, prenne prudemment un parti. C’est pour cela qu’on ne doit rien rechercher avec tant de soin que les causes des événemens ; car souvent une bagatelle, un rien donnent lieu à des événemens très-importants, et, en tout, on ne remédie à rien plus aisément qu’aux premiers mouvemens et aux premières pensées.

Selon Fabius, historien romain, ce fut l’avarice et l’ambition démesurée d’Asdrubal, jointes à l’injure faite aux Sagontins, qui furent la cause de la seconde guerre punique. Fabius prétend que ce général, s’étant acquis une domination fort étendue en Espagne, eut le projet, à son retour dans l’Afrique, d’abolir les lois de sa république, et de l’ériger en monarchie ; que les principaux magistrats, s’étant aperçus de son dessein, y furent unanimement opposés ; qu’Asdrubal alors sortit d’Afrique, et que, de retour en Espagne, il la gouverna à sa fantaisie, sans aucun égard pour le sénat de Carthage ; qu’Annibal, qui dès l’enfance était entré dans les vues de son oncle et avait tâché de le suivre, tint la même conduite que lui, quand on lui eut confié le gouvernement de l’Espagne ; et que ce fut pour se conformer à ces vues d’Asdrubal qu’il fit la guerre aux Romains malgré les Carthaginois, dont il n’y eut pas un seul, du moins entre les plus distingués, qui approuvât ce qu’Annibal avait fait à l’égard de Sagonte. Fabius ajoute qu’après la prise de cette ville, les Romains vinrent en Afrique, dans le dessein, ou de se faire livrer Annibal, ou de déclarer la guerre aux Carthaginois.

Mais si l’on demandait à cet historien, pourquoi, en supposant que l’entreprise d’Annibal eût déplu aux Carthaginois, cette république n’a pas saisi une occasion si favorable de se délivrer de la guerre qui la menaçait ? ce que pouvaient faire les Carthaginois de plus juste et de plus avantageux que de se rendre à ce que les Romains demandaient d’eux ? si en abandonnant l’auteur des injustices faites aux Sagontins, ils ne s’étaient pas défaits par les Romains de l’ennemi commun de leur état, ils n’auraient pas assuré la tranquillité à leur patrie, et étouffé le feu de la guerre, lorsque pour se venger il ne leur en aurait coûté qu’un sénatus-consulte ? si l’on fait, dis je, cette question à notre historien, il est clair qu’il n’aura rien à répondre, puisque les Carthaginois ont été si éloignés d’une sage conduite, qu’après avoir