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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/464

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POLYBE, LIV. III.

devaient chez l’un et l’autre être en sûreté. Cela est d’autant plus raisonnable, qu’il n’y a pas d’apparence qu’on dût conclure un traité par lequel on s’ôtât la liberté de faire de nouveaux alliés ou de nouveaux amis, toutes les fois qu’on le trouverait à sa bienséance, ou de défendre ceux qu’on aurait pris de nouveau sous sa protection. On ne prétendait donc rien autre chose de part et d’autre, sinon qu’à l’égard des alliés présens il ne leur serait fait aucun tort, et qu’il ne serait permis en aucune manière aux deux états de se faire des alliés l’un chez l’autre, et par rapport aux alliés à venir, « qu’on ne lèverait point de soldats ; que l’on ne commanderait rien dans les provinces ni chez les alliés les uns des autres, et que les alliés des deux états seraient chez l’un et l’autre en sûreté. »

Il est encore de la dernière évidence que, long-temps avant Annibal, Sagonte s’était mise sous la protection des Romains. Une raison incontestable, et dont les Carthaginois même conviennent, c’est qu’une sédition s’étant élevée parmi les Sagontins, ce ne fut pas les Carthaginois, quoique voisins et maîtres de l’Espagne, qu’ils prirent pour arbitres, mais les Romains ; et que ce fut aussi par leur entremise qu’ils remirent le bon ordre dans leur république. Concluons de toutes ces raisons, que, si la destruction de Sagonte est la cause de la guerre, on doit reconnaître que c’est injustement et contre la foi des traités faits, l’un avec Luctatius, et l’autre avec Asdrubal, que les Carthaginois prirent les armes, puisque le premier portait que les alliés des deux nations seraient en sûreté chez l’une comme chez l’autre ; et que le second défendait de porter la guerre au-delà de l’Èbre. Mais, s’il est vrai que les Carthaginois n’aient déclaré la guerre que parce que, chassés de la Sardaigne, ils avaient en même temps été grevés d’un nouveau tribut, et pour saisir l’occasion favorable de se venger de ceux qui, dans un temps où ils ne pouvaient résister, leur avaient fait cette insulte, il faut absolument tomber d’accord que la guerre que les Carthaginois firent aux Romains, sous la conduite d’Annibal, était très-juste.

Des gens peu judicieux diront peut-être, en lisant ceci, qu’il était assez inutile de s’étendre si fort sur ces sortes de choses. J’avoue que si l’homme, dans quelque circonstance que ce soit, pouvait se suffire à lui-même, la connaissance des choses passées ne serait peut-être que curieuse et point du tout nécessaire ; mais il n’y a point de mortel qui puisse dire cela ni de lui-même, ni d’une république entière. Quelque heureux et tranquille que soit le présent, la prudence ne permet pas qu’on se promette avec assurance le même bonheur et la même tranquillité pour l’avenir. Il n’est donc pas seulement beau, il est encore nécessaire de savoir les choses qui se sont passées avant nous. Sans la connaissance de ce que d’autres ont fait, comment pourra-t-on, dans les injustices qui nous seront faites à nous-mêmes ou à notre patrie, trouver des secours ou des alliés ? Si l’on veut acquérir ou entreprendre quelque chose de nouveau, comment gagnera-t-on des gens qui entrent dans nos projets, et qui nous aident à les exécuter ? En cas que l’on soit content de l’état où l’on est, comment portera-t-on les autres à nous l’assurer et à nous y conserver ? Ceux avec qui nous vivons s’accommodent presque toujours au présent ; ils ne parlent et n’agissent que comme des personnages de théâtre ; de sorte que leurs vues sont difficiles à découvrir, et que la vérité est