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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/478

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POLYBE, LIV. III.

nombre de ses alliés. Aussitôt on lui amena des ôtages, on le fournit de bestiaux, on s’abandonna entièrement à lui sans aucune précaution, sans aucune marque de défiance. Annibal, de son côté, se fiant tellement à leur bonne foi apparente, qu’il les prit pour guides dans les défilés qui restaient à franchir. Ils marchèrent donc à la tête des troupes pendant deux jours. Quand on fut entré dans un vallon, qui de tous côtés était fermé par des rochers inaccessibles, ces perfides, s’étant réunis, vinrent fondre sur l’arrière-garde d’Annibal. Ce vallon eût été sans doute le tombeau de toute l’armée, si le général carthaginois, à qui il était resté quelque défiance, et qui s’était précautionné contre la trahison n’eût mis à la tête les bagages avec la cavalerie, et les hommes pesamment armés à l’arrière-garde. Cette infanterie soutint l’effort des ennemis, et sans elle la perte eût été beaucoup plus grande. Mais, malgré ce secours, il périt là un grand nombre d’hommes, de chevaux et de bêtes de charge ; car ces Barbares, avançant sur les hauteurs à mesure que les Carthaginois avançaient dans la vallée, tantôt roulaient et tantôt jetaient de grosses pierres qui répandirent tant de terreur parmi les troupes, qu’Annibal fut obligé, avec la moitié de ses forces, de passer la nuit dans le voisinage d’un certain rocher blanc, séparé de sa cavalerie et de ses bêtes de somme, les protégeant pendant qu’elles défilaient avec peine au travers du ravin ; ce qui dura toute la nuit.

Le lendemain, les ennemis s’étant retirés, il rejoignit sa cavalerie et ses bêtes de somme, et s’avança vers la cime des Alpes. Dans cette route, il ne se rencontra plus de Barbares qui l’attaquassent en corps ; quelques pelotons seulement voltigeaient çà et là, et, se présentant tantôt à la queue, tantôt à la tête, enlevaient quelques bagages. Les éléphans lui furent alors d’un grand secours ; c’était assez qu’ils parussent pour effrayer les ennemis et les mettre en fuite. Après neuf jours de marche, il arriva enfin au sommet des montagnes. Il y demeura deux jours, tant pour faire reprendre haleine à ceux qui y étaient parvenus heureusement, que pour donner aux traîneurs le temps de rejoindre le gros de l’armée. Pendant ce séjour, on fut agréablement surpris de voir, contre toute espérance, paraître la plupart des chevaux et des bêtes de charge qui sur la route s’étaient débarrassés de leurs fardeaux, et qui, sur les traces de l’armée, étaient venus droit au camp.




CHAPITRE XI.


Annibal achève de passer les Alpes. — Difficultés qu’il eut à essuyer. — Pourquoi jusqu’ici Polybe a omis certaines choses qui cependant paraissaient essentielles à l’histoire.


C’était le temps du coucher des Pléïades, et déjà la neige avait couvert le sommet des montagnes. Les soldats, consternés par le souvenir des maux qu’ils avaient soufferts, et ne se figurant qu’avec effroi ceux qu’ils avaient encore à endurer, semblaient perdre courage. Annibal les assemble ; et comme du haut des Alpes, qui semblent être la citadelle de l’Italie, on voit à découvert toutes ces vastes plaines que le Pô arrose de ses eaux, il se servit de ce beau spectacle, unique ressource qui lui restait, pour remettre ses soldats de leur frayeur. En même temps il leur montra du doigt le point où Rome était située, et leur rappela quelle était pour eux la bonne volonté des peuples, qui habitaient le pays qu’ils avaient sous les yeux. Le lendemain il lève le camp,