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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/479

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POLYBE, LIV. III.

et commence la descente des montagnes. À la vérité, il n’eut point ici d’ennemis à combattre, excepté ceux qui lui faisaient du mal à la dérobée ; mais l’escarpement des lieux et la neige lui firent perdre presque autant de monde qu’il en avait perdu en montant. La descente était étroite, raide, et couverte de neige ; pour peu que l’on manquât le vrai chemin, l’on tombait dans des précipices affreux. Cependant le soldat endurci à ces sortes de périls, soutint encore courageusement celui-ci. Toutefois, lorsque les troupes arrivèrent à un certain endroit où il parut impossible aux éléphans ni aux chevaux de charge d’avancer, parce que le terrain déjà très-rapide dans l’espace de près de trois demi-stades, s’était éboulé davantage depuis très-peu de temps, toute l’armée, remplie d’effroi, se livra de nouveau au désespoir. La première pensée qui vint à Annibal fut de tourner cet endroit difficile ; mais, la neige rendant tout autre passage impraticable, il fut obligé d’y renoncer. Ce qui arrivait était en effet une chose très-rare et très-singulière. Sur la neige de l’hiver précédent il en était tombé de nouvelle : celle-ci, étant molle et peu épaisse, se laissait aisément pénétrer ; mais quand elle eut été foulée, et que l’on atteignit celle de dessous qui était ferme, les pieds ne pouvant s’assurer, le soldat faisait autant de chutes que de pas, comme cela arrive à ceux qui marchent sur un terrain boueux à sa surface. Cet accident en produisait un autre plus fâcheux encore : quand les soldats étaient tombés et qu’ils voulaient s’aider de leurs genoux, ou s’accrocher à quelque chose pour se relever, ils entraînaient avec eux tout ce qu’ils avaient pris pour se retenir. Pour les bêtes de charge, après avoir cassé la glace en se relevant, elles restaient comme glacées elles-mêmes dans les trous qu’elles avaient creusés, sans pouvoir, sous le pesant fardeau qu’elles portaient, vaincre la dureté de la vieille neige. Il fallut donc chercher un autre expédient.

Annibal prit le parti de camper à l’entrée du chemin dégradé : on enleva la neige, on se mit à l’ouvrage pour reconstruire le chemin le long du précipice. Ce travail fut poussé avec tant de vigueur, qu’au bout du jour où il avait été entrepris, les bêtes de charge et les chevaux descendirent sans beaucoup de peine. On les envoya aussitôt dans des pâturages, et l’on établit le camp dans la plaine, où il n’était pas tombé de neige. Annibal fit travailler les Numides par détachemens à la construction du chemin, et, après bien des fatigues, on réussit au bout de trois jours, avec beaucoup de peine, à faire passer les éléphans. Ils étaient exténués par la faim ; car, quoique sur le penchant des Alpes il se trouve des deux côtés des arbres et des forêts, et que la terre y puisse être cultivée, il n’en est pas de même de leur cime et des lieux voisins. Couverts de neige pendant toutes les saisons, comment pourraient-ils rien produire ? L’armée descendit la dernière, et au troisième jour elle entra enfin dans la plaine, mais de bien inférieure en nombre à ce qu’elle était au sortir de l’Espagne. Sur la route elle avait beaucoup perdu de monde, soit dans les combats qu’il fallut soutenir, soit au passage des rivières. Les rochers et les défilés des Alpes lui avaient encore fait perdre un grand nombre de soldats, mais incomparablement plus de chevaux et de bêtes de charge. Il y avait cinq mois et demi qu’Annibal était parti de la nouvelle Carthage, en comptant les quinze jours que lui avait coûtés le