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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/484

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POLYBE, LIV. III.

nemi, ou commettre quelque autre lâcheté, il n’y avait pas de maux et de peines auxquelles ils ne dussent s’attendre ; qu’il n’était personne parmi eux qui, se rappelant le chemin qu’il avait fait depuis Carthage-la-Neuve, les combats où il s’était trouvé dans la route, et les fleuves qu’il avait passés, fût assez stupide pour espérer qu’en fuyant il reverrait sa patrie ; qu’il fallait donc renoncer entièrement à cette espérance, et entrer pour eux-mêmes dans les sentimens où ils étaient tout-à-l’heure à l’égard des prisonniers ; que, comme ils félicitaient également le vainqueur et celui qui était mort les armes à la main, et portaient compassion à celui qui vivait après sa défaite, de même il fallait qu’en combattant, leur premier but fût de vaincre ; et s’ils ne pouvaient vaincre, de mourir glorieusement sans aucun retour sur la vie ; que, s’ils en venaient aux mains dans cet esprit, il leur répondait de la vie et de la victoire ; que jamais armée n’avait manqué d’être victorieuse, lorsque par choix ou par nécessité elle avait pris ce parti ; et qu’au contraire des troupes qui, comme les Romains, étaient proche de leur patrie, et avaient, en fuyant, une retraite sûre, ne pouvaient pas manquer de succomber sous l’effort de gens qui n’espéraient rien que de la victoire. Le spectacle et la harangue produisirent tout l’effet qu’Annibal s’en était proposé. On vit le courage renaître dans le cœur du soldat. Le général, après avoir loué ses troupes de leurs bonnes dispositions, congédia l’assemblée, et donna ordre qu’on se tînt prêt à marcher le lendemain.




CHAPITRE XIII.


Harangue de Scipion. — Bataille du Tésin. — Trahison des Gaulois à l’égard des Romains.


Publius s’était déjà avancé au-delà du Pô, et, pour passer le Tésin, il avait ordonné que l’on y jetât un pont. En attendant qu’il fût achevé, il assembla le reste de ses troupes et les harangua. Il s’étendit d’abord beaucoup sur la grandeur et la majesté de l’empire romain, et sur les exploits de leurs ancêtres : venant ensuite au sujet pour lequel ils avaient pris les armes, il dit : que quand bien même jusqu’à ce jour ils n’auraient jamais essayé leurs forces contre personne, maintenant qu’ils savaient que c’était aux Carthaginois qu’ils avaient affaire, dès lors ils devaient compter sur la victoire ; que c’était une chose indigne qu’un peuple vaincu tant de fois par les Romains, contraint de leur payer un tribut servile, et depuis si long-temps assujetti à leur domination, osât se révolter contre ses maîtres. « Mais à présent, ajouta-t-il, que nous avons éprouvé qu’il n’ose, pour ainsi dire, nous regarder en face, quelle idée, si nous pensons juste, devons-nous avoir des suites de cette guerre ? La première tentative de la cavalerie numide contre la nôtre, lui a fort mal réussi ; elle y a perdu une grande partie de ses soldats, et le reste s’est enfui honteusement jusqu’à son camp. Le général et toute son armée n’ont pas été plus tôt avertis que nous étions proche, qu’ils se sont retirés, et ils l’ont fait de telle façon que c’était autant une fuite qu’une retraite. C’est par crainte que, contre leur dessein, ils ont pris la route des Alpes. Annibal est dans l’Italie, mais la plus grande partie de son armée est ensevelie sous