Aller au contenu

Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/496

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
488
POLYBE, LIV. III.

de manière que les derniers touchaient au défilé par lequel on entrait dans le vallon ; il passa une nuit entière à dresser ses embuscades, après quoi il attendit tranquillement qu’on vînt l’attaquer.

Le consul marchait derrière avec un empressement extrême de rejoindre l’ennemi. Le premier jour, comme il était arrivé tard, il campa auprès du lac, et le lendemain, dès la pointe du jour, il fit entrer son avant-garde dans le vallon ; il s’était élevé ce matin-là un brouillard fort épais. Quand la plus grande partie des troupes romaines fut entrée dans le vallon, et que l’avant-garde toucha presque au quartier d’Annibal, ce général tout d’un coup donne le signal du combat, l’envoie à ceux qui étaient en embuscade, et fond en même temps de tous côtés sur les Romains. Flaminius et les officiers subalternes, surpris d’une attaque si brusque et si imprévue, ne savent où porter du secours ; enveloppés d’un épais brouillard et pressés de front, sur les derrières et en flanc par l’ennemi qui fondait sur eux d’en haut et de plusieurs endroits, non-seulement ils ne pouvaient se porter où leur présence était nécessaire, mais il ne leur était pas même possible d’être instruits de ce qui se passait. La plupart furent tués dans la marche même et avant qu’on eût le temps de les mettre en bataille, trahis pour ainsi dire par la stupidité de leur chef. Pendant que l’on délibérait encore sur ce qu’il y avait à faire, et lorsqu’on s’y attendait le moins, on recevait le coup de la mort. Dans cette confusion, Flaminius abattu, désespéré, fut environné par quelques Gaulois qui le firent expirer sous leurs coups. Près de quinze mille Romains perdirent la vie dans ce vallon, pour n’avoir pu ni agir ni se retirer. Car c’est chez eux une loi inviolable de ne fuir jamais, et de ne jamais quitter son rang. Il n’y en eut pas dont le sort soit plus déplorable que ceux qui furent surpris dans le défilé. Poussés dans le lac, les uns voulant se sauver à la nage avec leurs armes furent suffoqués ; les autres, en plus grand nombre, avancèrent dans l’eau jusqu’au cou ; mais quand la cavalerie y fut entrée, voyant leur perte inévitable, ils levaient les mains au-dessus du lac, demandaient qu’on leur sauvât la vie, et faisaient pour l’obtenir les prières les plus humbles et les plus touchantes, mais en vain. Les uns furent égorgés par les ennemis, et les autres s’exhortant mutuellement à ne pas survivre à une aussi honteuse défaite, se donnaient la mort à eux-mêmes. De toute l’armée il n’y eut qu’environ six mille hommes qui renversèrent le corps qui les combattait de front. Cette troupe eût été capable d’aider beaucoup à rétablir les affaires, mais elle ne pouvait connaître en quel état elles étaient. Elle poussa toujours en avant, dans l’espérance de rencontrer quelques partis de Carthaginois, jusqu’à ce qu’enfin, sans s’en apercevoir, elle se trouvât sur les hauteurs. De là, comme le brouillard était tombé, voyant leur armée taillée en pièces et l’ennemi maître de la campagne, ils prirent le parti, qui seul leur restait à prendre, de se retirer serrés et en bon ordre à certaine bourgade de la Tyrrhénie. Maharbal eut ordre de les poursuivre, et de prendre avec lui les Espagnols et les gens de trait. Il se mit à leur poursuite, les assiégea et les réduisit à une si grande extrémité, qu’ils mirent bas les armes et se rendirent, sans autre condition, sinon qu’ils auraient la vie sauve. Ainsi finit le combat qui se livra dans la Tyrrhénie entre les Romains et les Carthaginois.