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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/497

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POLYBE, LIV. III.


CHAPITRE XVIII.


Distinction que fait Annibal entre les prisonniers romains et ceux d’entre leurs alliés. — Grande consternation à Rome. — Défaite de quatre mille cavaliers romains. — Fabius est fait dictateur.


Quand on eut amené devant Annibal tous les prisonniers, tant ceux que Maharbal avait forcés de se rendre, que ceux que l’on avait faits dans le vallon, et qui tous ensemble montaient à plus de quinze mille, il dit aux premiers que Maharbal n’avait pas été en droit de traiter avec eux sans l’avoir consulté, et prit de là occasion d’accabler les Romains d’injures et d’opprobres. Il distribua ensuite ces prisonniers entre les rangs de son armée, pour les tenir sous bonne garde. Ceux d’entre les alliés des Romains furent traités avec plus d’indulgence ; il les renvoya tous dans leur patrie sans en rien exiger, leur répétant ce qu’il leur avait déjà dit, qu’il n’était pas venu pour faire la guerre aux Italiens, mais pour les délivrer du joug des Romains. Il fit prendre ensuite du repos à ses troupes et rendit les derniers devoirs aux principaux de son armée, qui, au nombre de trente, étaient restés sur le champ de bataille. De son côté la perte ne fut en tout que de quinze cents hommes, la plupart gaulois. Encouragé par cette victoire, il concerta avec son frère et ses confidens les mesures qu’il avait à prendre pour pousser plus loin ses conquêtes.

À Rome, quand la nouvelle de cette triste journée y eut été répandue, l’infortune était trop grande pour que les magistrats pussent la pallier ou l’adoucir ; on assembla le peuple, et on la lui déclara telle qu’elle était. Mais à peine, du haut de la tribune aux harangues, un préteur eut-il prononcé ces quatre mots : « Nous avons été vaincus dans une grande bataille, » que la consternation fut telle, que ceux des auditeurs qui avaient été présens à l’action, crurent le désastre beaucoup plus grand qu’il ne leur avait paru dans le moment même du combat. Cela venait de ce que les Romains n’ayant, depuis un temps immémorial, ni entendu parler de bataille, ni perdu de bataille, ne pouvaient avouer leur défaite sans être touchés jusqu’à l’excès d’un malheur si peu attendu. Il n’y eut que le sénat qui, malgré ce funeste événement, ne perdît pas de vue son devoir. Il pensa sérieusement à chercher ce que chacun aurait à faire pour arrêter les progrès du vainqueur.

Quelque temps après la bataille, C. Servilius, qui campait autour d’Ariminum, c’est-à-dire vers la mer Adriatique, sur les confins de la Gaule Cisalpine et du reste de l’Italie, assez près des bouches du Pô, C. Servilius, dis-je, averti qu’Annibal était entré dans la Tyrrhénie, et qu’il était campé proche de Flaminius, aurait voulu joindre celui-ci avec toute son armée. Mais comme elle était trop pesante pour une si longue marche, il détacha quatre mille chevaux sous le commandement de C. Centenius, avec ordre de prendre les devans, en cas de besoin de secourir Flaminius. Annibal n’eut pas plus tôt reçu cet avis, qu’il envoya au-devant du secours qui arrivait aux Romains, Maharbal avec les soldats armés à la légère et quelque cavalerie. Au premier choc Centenius perdit presque la moitié de ses soldats ; il se retira avec le reste sur une hauteur ; mais Maharbal les y poursuivit, et le lendemain les fit tous prisonniers. Cette nouvelle vint à Rome trois jours après celle de la bataille, c’est-à-dire dans un temps où la blessure que la première avait faite, était encore toute