Aller au contenu

Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/53

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 45 —

serait assez supérieur à l’ennemi pour lui présenter un front aussi étendu que le sien, indépendamment d’une masse un peu respectable qu’il placerait en crochet sur l’extrémité de l’aile agissante. Bien entendu que la véritable attaque serait alors portée de ce côté.

On ne met pas seulement hors des coups de l’ennemi l’aile affaiblie qu’on refuse, dans la disposition oblique ; cette aile remplit encore la double destination de tenir en respect la partie de la ligne qu’on ne veut pas attaquer, et de servir de réserve à l’aile agissante. Comme l’ordre oblique offre aussi l’avantage de porter les masses sur un seul point de la ligne ennemie, c’est celui que Jomini regarde comme le plus convenable pour une armée inférieure qui en attaque une plus forte. Chez les modernes, l’exemple le plus brillant des avantages de cette disposition fut donné à la bataille de Lissa ou Leuthen, par Frédéric II.

Dans l’ordre oblique, toute la ligne ennemie se trouve constamment tenue en échec ; mais dans l’ordre perpendiculaire sur une aile, où la partie qui n’est point attaquée ne voit aucun adversaire devant elle, on peut aisément courir au point menacé. Jomini fait observer aussi, qu’il est bien difficile de s’établir sur l’extrémité d’une ligne sans que l’ennemi en soit instruit.

L’ordre perpendiculaire sur deux ailes peut être très avantageux, quand l’assaillant se trouve supérieur en nombre ; mais une armée inférieure, qui formerait une double attaque contre une seule masse supérieure, violerait le principe fondamental qui consiste à porter la majeure partie de ses forces sur le point décisif.

Jomini ne conseille l’ordre concave que lorsqu’on le prend par suite des événemens de la bataille, c’est-à-dire, quand l’ennemi s’engage au centre qui cède devant lui. Il est clair, en effet, que si l’on formait une figure concave avant la bataille, et que l’ennemi, au lieu de se jeter au centre, tombât sur une des ailes qui présentent ainsi leurs extrémités, il resterait peu de ressource à la ligne assaillie.

Mais une armée forme rarement un demi-cercle. Elle prend plutôt une ligne brisée rentrant vers le centre, comme le firent les Anglais aux célèbres journées de Crécy et d’Azincourt. L’écrivain judicieux dont nous présentons ici les principes, préfère cette disposition à l’autre, parce qu’elle ne prête pas autant le flanc, permet de marcher en avant par divisions échelonnées, et conserve tout l’effet de la concentration du feu. Toutefois, ajoute-t-il, ces avantages disparaissent, si l’ennemi, au lieu de se jeter follement dans le centre concave, se borne à le faire observer de loin, et se porte, avec le gros de ses masses, sur une aile.

L’ordre convexe ne se prend guère que pour combattre immédiatement après un passage de fleuve, lorsqu’on est forcé de refuser les ailes pour appuyer au rivage et couvrir les ponts. Les Français prirent cet ordre à Fleurus en 1794, et réussirent, parce que le prince de Cobourg, au lieu de fondre en force sur le saillant du convexe ou sur une seule de ses extrémités, dirigea ses attaques sur cinq ou six rayons divergens, et notamment sur les deux ailes à-la-fois. Jomini justifie Napoléon qui combattait avec le Danube à dos, et qui n’avait pas la faculté de manœuvrer sans découvrir ses ponts, d’avoir pris à Essling une disposition à-peu-près semblable ; il le blâme, avec trop de sévérité, aux deuxième et troisième journées de Leipzig, où cet ordre eut, dit-il, le résultat qu’il devait avoir.