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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/584

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POLYBE, LIV. V.

leur avait laissé qu’Antiochus et Philippe, encore enfans, pour successeurs. Dans cette sécurité, il se livra tout entier aux plaisirs : nul soin, nulle étude n’en interrompaient le cours ; ni ses courtisans, ni ceux qui avaient des charges dans l’Égypte, n’osaient l’approcher. À peine daignait-il faire la moindre attention à ce qui se passait dans les états voisins de son royaume. C’était cependant sur quoi ses prédécesseurs veillaient bien plus que sur les affaires mêmes de l’intérieur de l’Égypte. Maître de la Cœlo-Syrie et de Chypre, ils tenaient les rois de Syrie en respect par mer et par terre, ainsi que les villes les plus considérables, les postes et les ports qui sont le long de la côte depuis la Pamphilie jusqu’à l’Hellespont, et les lieux voisins de Lysimachie, leur étaient soumis ; de là ils observaient les puissances de l’Asie et les îles mêmes. Dans la Thrace et la Macédoine, comment aurait-on osé remuer pendant qu’il commandait dans Ène, dans Maronée et dans des villes encore plus éloignées ? Avec une domination si étendue, ayant encore pour barrière devant eux les princes qui régnaient au loin hors de l’Égypte, leur propre royaume était en sûreté. C’était donc avec une grande raison qu’ils tenaient toujours les yeux ouverts sur ce qui se passait au dehors. Ptolémée au contraire dédaignait de se donner cette peine ; l’amour et le vin faisaient toutes ses délices, comme toutes ses occupations. Après cela l’on ne doit pas être surpris qu’en très-peu de temps on ait attenté en plusieurs occasions et à sa couronne et à sa vie.

Le premier qui l’ait fait est Cléomène de Sparte. Tant que Ptolémée Évergète vécut, comme il avait fait alliance avec ce prince, et que d’ailleurs il comptait en être secouru pour recouvrer le royaume de ses pères, il se tint en repos. Mais quelque temps après sa mort, quand dans la Grèce les affaires tournèrent de manière que tout semblait l’y appeler comme par son nom, qu’Antigonus fut mort, que les Achéens eurent pris les armes, que les Lacédémoniens se furent unis avec les Étoliens contre les peuples d’Achaïe et de Macédoine, alors il demanda avec empressement de sortir d’Alexandrie. Il supplia le roi de lui donner des troupes et des munitions suffisantes pour s’en retourner. Ne pouvant obtenir cette grâce, il pria qu’on le laissât du moins partir avec sa famille, et qu’on lui permit de profiter de l’occasion favorable qui se présentait de rentrer dans son royaume. Ptolomée était trop occupé de ses plaisirs pour daigner prêter l’oreille à cette prière de Cléomène. Sans prévoyance pour l’avenir, nulle raison, nulle prière ne put le tirer de sa sotte et ridicule indolence.

Sosibe, qui alors avait dans le royaume une très-grande autorité, assembla ses amis, et dans ce conseil on résolut de ne donner à Cléomène ni flotte ni provisions ; ils croyaient cette dépense inutile, parce que depuis la mort d’Antigonus les affaires du dehors du royaume ne leur paraissaient d’aucune importance. D’ailleurs ce conseil craignait qu’Antigonus n’étant plus, et n’y ayant plus personne pour résister à Cléomène, ce prince, après s’être soumis en peu de temps la Grèce, ne devînt pour l’Égypte un ennemi fâcheux et redoutable, d’autant plus qu’il avait étudié à fond l’état du royaume, qu’il avait un souverain mépris pour le roi, et qu’il voyait quantité de parties du royaume séparées et fort éloignées, sur lesquelles on pouvait trouver mille occasion de tomber, car il avait un assez grand nombre de vaisseaux à Samos, et à