Aller au contenu

Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/590

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
582
POLYBE, LIV. V.

riva enfin à Gerrhe. Mais Théodote, Étolien, logé dans les deux châteaux, avait fortifié de fossés et de palissades le défilé qui conduit au lac, et avait mis bonne garde partout. Le roi voulut d’abord entrer par force dans les châteaux ; mais comme il souffrit là plus de mal qu’il n’en faisait, parce que ces deux places étaient fortes, et que Théodote ne se laissait pas corrompre, il abandonna son dessein.

Dans l’embarras où il était, il reçut encore la nouvelle que Xénète avait été entièrement défait, et que Molon avait soumis à sa domination toutes les hautes provinces. Sur cet avis, il partit au plus tôt des deux châteaux pour venir mettre ordre à ses propres affaires ; car ce Xénète, qu’il avait envoyé pour généralissime, se voyant revêtu d’une puissance qu’il n’aurait jamais osé espérer, traitait ses amis avec hauteur, et ne suivait, dans ses entreprises, qu’une aveugle témérité. Il prit cependant la route de Séleucie, et ayant fait venir Diogène et Pythiade, l’un gouvernent de la Susiane, et l’autre de la mer Rouge, il mit ses troupes en campagne, et alla placer son camp sur le bord du Tigre, en présence des ennemis. Là, il apprit de plusieurs soldats qui du camp de Molon étaient passés au sien, à la nage, que, s’il traversait le fleuve, toute l’armée de Molon se rangerait sous ses étendards, parce qu’elle haïssait autant Molon qu’elle aimait Antiochus. Encouragé par cette nouvelle, il résolut de passer le fleuve. Il fit d’abord semblant de vouloir jeter un pont sur le Tigre, dans un endroit où il y avait une espèce d’île ; mais comme il ne disposait rien de ce qui était nécessaire pour cela, Molon ne se mit pas en peine de l’empêcher. Il se hâta ensuite de rassembler et d’équiper des bateaux ; puis, ayant choisi les meilleures troupes de toute son armée, soit dans la cavalerie, soit dans l’infanterie, et laissé Zeuxis à la garde du camp, il descendit environ quatre-vingts stades plus bas que n’était Molon, fit passer son corps de troupes sans aucune résistance, et campa de nuit dans un lieu avantageux, couvert presque tout entier par le Tigre, et défendu aux autres endroits par des marais et des fondrières impraticables.

Molon détacha sa cavalerie pour arrêter ceux qui passaient, et tailler en pièces ceux qui étaient déjà passés. Cette cavalerie approcha en effet, mais il ne fallut pas d’ennemis pour la vaincre. Ne connaissant pas les lieux, elle se précipita d’elle-même dans les fondrières qui la mirent hors d’état de combattre, et où la plupart périrent. Xénète, toujours persuadé que les rebelles n’attendaient que sa présence pour se joindre à lui, avança le long du fleuve et campa sous leurs yeux. Alors Molon, soit par stratagème, soit qu’il craignît qu’il n’arrivât quelque chose de ce qu’espérait Xénète, laisse le bagage dans les retranchements, décampe pendant la nuit et prend le chemin de la Médie. Xénète croit que Molon ne prend la fuite que parce qu’il craint d’en venir aux mains, et qu’il se défie de ses troupes. Il s’empare de son camp, et y fait venir la cavalerie et les bagages qu’il avait laissés sous la garde de Zeuxis. Il assemble ensuite l’armée et l’exhorte à bien espérer des suites de la guerre, puisque Molon avait déjà tourné le dos. Il leur donne ordre de prendre soin d’eux et de se tenir prêts, parce que, de grand matin, il se mettrait à la poursuite des ennemis. L’armée, pleine de confiance et regorgeant de vivres, fait bonne chère, boit à l’excès, et par suite néglige la victoire.