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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/593

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POLYBE, LIV. V.

d’Épigène présente à la pensée, craignait de dire son sentiment ; cependant, comme l’avis qu’avait ouvert Hermias était visiblement pernicieux, il hasarda de conseiller qu’il fallait passer le Tigre, alléguant que la route le long de ce fleuve était difficile ; qu’après avoir fait assez de ce chemin, après avoir marché pendant six jours dans le désert, on ne pourrait éviter de passer par le fossé royal ; que les ennemis s’en étant emparés les premiers, il serait impossible de passer outre ; qu’on ne pourrait, sans un danger évident de périr, retourner sur ses pas par le désert, parce que l’armée n’y aurait pas de quoi subsister ; qu’au contraire, si l’on passait le Tigre, les Apolloniates rentreraient infailliblement dans leur devoir ; qu’ils ne s’en étaient écartés pour obéir à Molon, que par crainte et par nécessité ; que, ce pays étant gras et fertile, l’armée y trouverait des vivres en abondance ; que surtout on fermerait à Molon tous les chemins pour retourner dans la Médie ; qu’on lui couperait tous les vivres ; que, par conséquent, on le forcerait d’en venir à une bataille, qu’il ne pourrait refuser sans que ses troupes se jetassent aussitôt dans le parti du roi.

Ce sentiment ayant prévalu, on divisa l’année en trois corps, vers trois endroits du fleuve, et on fit passer les troupes et le bagage. Ensuite on se dirigea vers Dure. Un officier de Molon assiégeait cette ville : il ne fallut que se montrer pour lui faire lever le siége. On marcha ensuite sans discontinuer, et, après huit jours de marche, on franchit le mont Orique, et on arriva à Apollonie. Molon, averti de l’arrivée du roi, ne crut pas devoir s’en fier à la fidélité des peuples de la Susiane et de la Babylonie, dont il avait fait la conquête depuis si peu de temps et avec tant de rapidité : craignant d’ailleurs qu’on ne lui coupât les chemins de la Médie, et comptant sur le nombre de ses frondeurs appelés Cyrtiens, il prit le parti de jeter un pont sur le Tigre pour faire passer son armée, et d’aller se loger, s’il était possible, sur les montagnes de l’Apolloniatide, avant Antiochus. Il marcha sans relâche et avec rapidité ; mais à peine touchait-il aux postes qu’il s’était destinés, que les troupes légères du roi, qui était parti d’Apollonie avec son armée, rencontrèrent les siens sur certaines hauteurs. D’abord ils escarmouchèrent et s’éprouvèrent les uns les autres ; mais, à l’approche des deux armées, ils se retirèrent chacun vers leur parti, et les armées campèrent à quarante stades l’une de l’autre.

La nuit venue, Molon, ayant réfléchi qu’il était difficile et dangereux de faire combattre de front et pendant le jour des révoltés contre le roi, résolut d’attaquer de nuit Antiochus. Il prit pour cela l’élite de toute son armée, reconnut différens postes pour en trouver un élevé, d’où il pût fondre sur l’ennemi ; mais, sur l’avis qu’il reçut que dix de ses soldats étaient allés trouver Antiochus, il changea de dessein, retourna sur ses pas, rentra dans son camp vers le point du jour, et y mit le désordre et la confusion. Peu s’en fallut que tous ceux qui y reposaient n’en sortissent, tant la frayeur était grande. Molon fit tout ce qu’il put pour apaiser le tumulte. Dès que le jour parut, le roi, qui était prêt à combattre, fait sortir ses troupes des retranchemens et les range en bataille, la cavalerie armée de lances sur l’aile droite, sous le commandement d’Ardye, officier d’une valeur éprouvée dans les combats ; près de la cavalerie, les Crétois alliés ; ensuite les Gaulois Tectosages, puis les