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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/629

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POLYBE, LIV. VI.

per sur le temps en prédisant ce qu’un état deviendra, on ne se trompera guère jugeant à quel degré d’accroissement ou de décadence il est parvenu, et en quelle forme de gouvernement il se changera, pourvu qu’on porte ce jugement sans passion et sans préjugés. En suivant cette méthode, il est aisé de connaître la naissance, les progrès, la splendeur, et le changement futur de la république romaine ; car il n’y en a point qui se soit plus établie et plus augmentée selon les lois de la nature, et qui doive plus, selon les mêmes lois, prendre une autre forme, comme je le ferai voir dans la suite. Mais auparavant il faut dire un mot des lois de Lycurgue ; cela ne nous écartera pas de notre but.

Ce grand législateur, qui avait compris que tous ces changemens dont nous avons parlé, étaient naturellement inévitables, s’était persuadé que toute forme de gouvernement, qui était simple et ne subsistait que par elle-même, était de peu de durée, et tombait bientôt dans le défaut que la nature semble y avoir attaché. En effet, comme la rouille naît avec le fer, et les vers avec le bois, de sorte que quand bien même aucun agent étranger n’attaquerait ces substances, elles ne laisseraient pas que de se détruire, parce qu’elles portent en elles-mêmes le principe de leur destruction ; de même chaque forme particulière de gouvernement a naturellement en elle certain défaut qui devient la cause de sa ruine. La monarchie se perd par la royauté, l’aristocratie par l’oligarchie, la démocratie par la violence ; et ce que nous avons dit, fait voir qu’il n’est pas possible qu’avec le temps ces sortes de gouvernemens ne dégénèrent. Lycurgue, pour éviter cet inconvénient, n’en a pris aucun, seul et en particulier, mais a recueilli et rassemblé ce que chacun avait de meilleur pour en former un tout, de peur que l’un, ne l’emportant sur l’autre, ne tombât dans le défaut qui lui est inhérent. Dans sa république, la force de l’un tient toujours la force de l’autre en respect : aucun d’eux n’emporte la balance ; ils se tiennent tous mutuellement dans l’équilibre, c’est comme un vaisseau que les vents poussent de tous côtés. La crainte du peuple, qui avait sa part dans le gouvernement, empêchait les rois d’abuser de leur pouvoir ; d’un autre côté, le peuple était retenu dans le respect dû aux rois par la crainte du sénat, qui, composé de citoyens choisis, ne devait pas manquer de se ranger du côté de la justice : de là il arrivait que le parti le plus faible, mais qui avait le bon droit pour lui, devenait le plus fort, par le poids que lui donnait le sénat. (Dom Thuillier.)


IV.


Constitution de la république romaine.


C’est à la faveur d’un gouvernement ainsi coordonné, que les Lacédémoniens ont conservé plus long-temps leur liberté qu’aucun autre peuple dont nous ayons connaissance ; et c’est en prévoyant la cause et l’époque de certains événemens, que Lycurgue a établi cette république. À l’égard des Romains, ils sont arrivés au même but, sans cependant y avoir été conduits par choix et par raison ; ce n’est qu’après une infinité de combats et de troubles qu’ayant appris à leur dépens la forme de gouvernement qui leur était la plus avantageuse, ils établirent enfin une république semblable à celle de Lycurgue, et la plus parfaite que nous connaissions.