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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/697

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POLYBE, LIV. IX.

tiré dans un lieu sûr d’où il ne pouvait être découvert par les ennemis. Mais, la lune s’étant alors éclipsée, une vaine superstition lui fit craindre que cela ne fût le présage de quelque malheur. Il suspendit sa marche. La nuit suivante il voulut la continuer, mais les ennemis, l’ayant aperçu, vinrent fondre sur lui, et l’armée et les chefs furent obligés de se rendre aux Syracusains. Cependant s’il eût seulement consulté des gens éclairés sur cette éclipse, il n’en fallait pas davantage, je ne dis pas pour ne point laisser échapper le temps de poursuivre sa marche, mais pour faire servir même cet événement à son dessein, à cause de l’ignorance des ennemis ; car l’ignorance de ceux avec qui l’on a affaire est pour les hommes habiles le chemin qui conduit le plus sûrement aux heureux succès. C’est là ce qui rend la connaissance de l’astronomie indispensable aux hommes de guerre.

À l’égard de la mesure des échelles, on doit s’y prendre de cette manière. Si quelqu’un de ceux avec qui l’on a intelligence donne la hauteur des murailles, on voit d’abord la proportion que doivent avoir les échelles ; car, par exemple, si la muraille a dix pieds de hauteur, il en faudra au moins douze aux échelles. Pour proportionner la distance où le pied des échelles doit être de la muraille, avec le nombre de ceux qui doivent y monter, il faut prendre la moitié de la largeur des échelles. À plus de distance, elles se casseront sous le nombre de ceux qui feront l’escalade, et si on les pose plus droites, on n’y pourra monter sans s’exposer au danger de tomber. Si la muraille est inaccessible, et qu’on ne puisse la mesurer, on prendra de loin la hauteur de quelque chose que ce soit qui sera élevé perpendiculairement sur un terrain plat. La manière de le faire est aisée, pour peu qu’on se soit appliqué aux mathématiques. Preuve évidente que, pour réussir dans les expéditions militaires, il est utile de savoir la géométrie, non pas parfaitement, mais du moins autant qu’il faut pour juger des rapports et des proportions.

Ce n’est pas seulement pour les échelles que la géométrie est nécessaire, elle l’est encore pour changer, selon les occurrences, la figure du camp. Par ce moyen on pourra, en prenant quelque figure que ce soit, garder la même proportion entre le camp et ce qui doit être contenu ; ou, en gardant la même figure, augmenter ou diminuer l’aire du camp, eu égard toujours à ceux qui y entrent ou qui en sortent, comme nous avons fait voir dans nos commentaires sur la tactique.

Et je ne crois pas qu’on me sache mauvais gré de demander dans un général quelque connaissance de l’astronomie et de la géométrie. Ajouter des connaissances inutiles au genre de vie que nous professons, uniquement pour en faire parade et pour parler, c’est une curiosité que je ne saurais approuver ; mais je ne puis non plus goûter que, dans les choses nécessaires, on s’en tienne à l’usage et à la pratique, et je conseille fort de remonter plus haut. Il est en effet absurde que ceux qui s’appliquent à la danse et aux instrumens, souffrent qu’on les instruise de la cadence et de la musique, qu’ils s’exercent même à la lutte, parce que cet exercice passe pour contribuer à la perfection des deux autres ; et que des gens qui aspirent au commandement des armées trouvent mauvais qu’on leur inspire quelque teinture des autres arts et des autres sciences. De simples artistes seront-ils donc plus appliqués et plus vifs à se surpasser les uns les autres, que ceux qui se proposent de briller et de se

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