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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/72

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une grande connaissance du cœur humain et du caractère des différens peuples, enfin un esprit de prudence, de vigueur, de courage, de persévérance absolument nécessaire pour que l’unité s’établisse dans une machine aussi compliquée. Ces qualités sont effectivement celles des Carthaginois, et leurs hommes illustres les ont manifestées en plusieurs occasions d’une manière admirable.

Dans la lutte qui s’établit entre cette république et Rome, on dut croire d’abord que l’avantage allait demeurer aux Carthaginois. Ils étaient soutenus de toutes les ressources que peuvent fournir des possessions étendues ; leur marine paraissait invincible ; des armées nombreuses, toujours sur pied, accoutumées à des excursions lointaines, rendaient sur terre leur puissance formidable ; et les Romains, qui n’avaient encore essayé leur valeur qu’avec les peuples de l’Italie, ne possédaient ni vaisseaux, ni revenus capables de fournir aux besoins d’une longue expédition.

Malgré cette infériorité apparente, les premières opérations des Romains furent heureuses. Mais pour assurer leurs succès et en obtenir de nouveaux, il leur fallait une marine ; et l’on dit qu’une galère carthaginoise, échouée sur la côte de Messine dont ils venaient de se rendre maîtres, leur servit de modèle ; ils parvinrent, ajoute-t-on, à mettre en mer un nombre de bâtimens considérable, au bout de quelques mois.

Ces bâtimens étaient, comme on le suppose, grossièrement construits ; les Romains d’ailleurs manquaient d’hommes propres à la manœuvre ; mais le consul Duillius parvint à mettre la victoire entre les mains des plus braves, au moyen de corbeaux, invention ingénieuse qui accrochait les vaisseaux ennemis, et servait à-la-fois de pont pour monter à l’abordage.

Ayant vaincu les maîtres de la mer sur leur propre élément, les Romains protégèrent les côtes d’Italie, secondèrent avec des vaisseaux leurs opérations de terre en Sicile, et portèrent la guerre jusqu’en Afrique.

Régulus veut marcher sur Carthage, et songe à ne laisser derrière lui aucune place qui puisse inquiéter son dessein. Il s’approche d’Adis, l’une des villes les plus fortes du pays ; les Carthaginois accourent pour défendre ce boulevart de la patrie.

Leur principale ressource était la cavalerie et les éléphans, et ils laissent la plaine pour se poster dans des lieux d’un abord difficile. C’était, dit Polybe, montrer à leurs ennemis ce qu’ils devaient faire. Ils profitèrent de la leçon.

Le consul romain s’aperçut bientôt, en effet, que la plus grande partie des forces carthaginoises était inutile dans des lieux escarpés ; mais craignant que l’ennemi ne se ravisât enfin, et ne descendît dans la plaine, il résolut de tenter une entreprise hardie, sur un camp que l’on regardait comme inabordable.

Il reconnaît le terrain[1], et, pendant la nuit, détache une partie considérable de son armée, avec ordre, à celui qui la commande, de prendre un long circuit et de gagner les derrières de la montagne par des routes détournées. Tout fut calculé pour que ce corps pût arriver un peu après le moment où Régulus engagerait l’affaire par la hauteur qui regardait la plaine. Le consul dut supposer que les Carthaginois, qui ne craignaient rien sur leurs derrières, porteraient toute leur vigilance de l’autre côté.

Il ne se trompait pas, si telles furent

  1. Voyez l’Atlas.