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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/73

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ses conjectures. Au point du jour les Romains attaquent, et les Carthaginois, se sentant forts de leur position, tombent sur eux avec tant de poids et de vigueur, qu’ils les font plier, et les obligent à se retirer loin de leurs postes. Mais les troupes qui devaient tourner la montagne paraissent sur ces entrefaites ; elles arrivent si à propos, qu’elles trouvent les derrières du camp presque dégarnis, et y pénètrent sans beaucoup de résistance.

Les Romains, avertis que leurs gens sont maîtres du camp et du sommet de la hauteur, se rallient et recommencent une nouvelle attaque. La confusion se met bientôt parmi les Carthaginois ; ils craignent d’être pris à dos pendant que Régulus les attaque en face ; ils abandonnent leur position qu’ils regardaient comme inexpugnable, et s’enfuient sans oser risquer le combat. (Ans 498 de Rome, 256 avant notre ère.)

Cette surprise de camp mérite l’approbation de tous les hommes du métier. Polybe la rapporte aussi avec éloge ; malheureusement son récit n’offre aucun détail qui soit propre à nous faire connaître les lieux et les difficultés de l’entreprise. Nous devons reproduire ici les réflexions de Folard au sujet de cette action célèbre. C’est là un de ces éclairs qui brillent de temps en temps dans son long commentaire. Mais nous ne pouvons accepter, dans toute son étendue, le jugement de Folard sur un général dont l’imprudence et la présomption ne devinrent que trop manifestes quelques jours après.

« L’action du consul romain, dit-il, fut conduite avec tout l’art et la sagesse possible. Quoiqu’elle soit peu rare, on n’y est pas moins nouveau toutes les fois qu’on s’avise de pareils desseins. Celui-ci nous fait voir la vérité de cette maxime, que lorsqu’un général peut entreprendre deux choses à-la-fois, il est infiniment plus glorieux de les exécuter toutes deux que de s’arrêter à une seule. Attaquer l’ennemi, lorsqu’on le peut, sans abandonner son siége, est une chose qui n’appartient qu’aux généraux d’intelligence peu commune, quoique ces occasions se présentent assez souvent pendant le cours d’une guerre, et qu’il ne soit rien de plus aisé que de les faire naître ; mais il est rare de trouver des généraux qui aient assez de hardiesse et de capacité pour en profiter.

» Il y a pourtant des cas où ces sortes d’entreprises seraient très imprudentes et très blâmables : et cela arrive lorsqu’on se trouve engagé dans le siége d’une place importante, dont la prise nous paraît certaine, et les suites plus heureuses que le gain d’une bataille toujours incertain. On ne court jamais ces risques lorsqu’on a des vivres et des munitions de guerre en abondance, et que l’on est assuré par de bonnes lignes contre les attaques de ceux du dehors ; en ce cas, il est de la prudence de se tenir clos et couvert dans ses retranchemens, et de suivre l’objet principal qui est la prise de la place.

» C’est une maxime dont on ne saurait guère s’écarter ; mais comme les cas ne sont pas toujours les mêmes à la guerre, et que ce qui est vrai à certains égards, est faux à certains autres, et que tout dépend presque du temps, des lieux, des occasions, de la nature de nos forces, et des diverses conjonctures ; c’est au général habile, et qui n’est point contraint par la nécessité d’agir contre ces maximes, d’examiner sur ces différens cas ; mais la principale de toutes est de ne rien entreprendre si l’on n’a pour but des avantages solides et réels ; enfin, de ne rien hasarder sans des raisons évidentes, et dont on

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