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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/755

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POLYBE, LIV. XI.

affaires présentes. Alors Scipion envoya ordre aux tribuns qui étaient aux portes, d’amener les soldats en armes et d’envelopper l’assemblée. Il s’avança ensuite, et, au premier coup d’œil que tous jetèrent sur lui, ils furent extrêmement surpris de le voir dans une parfaite santé, lui qu’ils croyaient encore pouvoir à peine se soutenir.

Il commença par leur dire qu’il ne pouvait comprendre quels mécontentemens ou quelles espérances les avaient portés à se révolter ; que les révoltes contre la patrie et contre les chefs ne venaient ordinairement que de trois causes : ou de ce que l’on avait lieu de se plaindre des officiers, ou de ce que l’on n’était pas content de la situation présente des affaires, ou de ce que l’on aspirait à quelque chose de plus grand et de plus illustre que ce que l’on avait.

« Or, dites-moi donc laquelle de ces trois causes vous a poussés à la révolte ? M’auriez-vous su mauvais gré de ce que votre solde ne vous a pas été payée ? Mais la faute ne doit pas m’en être imputée ; car, tant que la chose a été en mon pouvoir, l’argent qui vous était dû ne vous a jamais manqué. Si c’est Rome qui est cause de ce que vous n’avez pas reçu ce que l’on vous doit depuis long-temps, fallait-il pour cela vous déclarer contre votre patrie, qui jusqu’à présent a fourni à tous vos besoins et dans laquelle vous avez été élevés ? Ne valait-il pas mieux me faire vos plaintes et prier vos amis de vous secourir et de vous soulager dans vos peines ? Quand, pour pareil sujet, des soldats qui font du service un métier mercenaire, quittent ceux à la solde desquels ils servent, ils ne sont pas si criminels ; mais que des gens qui ne font la guerre que pour eux-mêmes, pour leurs femmes et pour leurs enfans, tombent dans cette infidélité, c’est un crime impardonnable. C’est comme si un fils, se plaignant que son père l’a trompé dans un compte qu’ils avaient à régler ensemble, s’en allait en armes arracher la vie à celui dont il a reçu la sienne. Direz-vous que je vous ai commandé des travaux plus pénibles qu’aux autres, que je vous ai exposés à plus de dangers, et que je leur ai fait plus de part qu’à vous du butin et des autres profits de la guerre ? Mais vous n’oseriez m’accuser d’avoir fait cette distinction et cette différence ; quand vous seriez assez hardis pour cela, vous ne pourriez le persuader à personne. Quel sujet vous ai-je donc donné de vous éloigner de moi ? je voudrais le savoir, car il me semble que vous n’avez rien à dire, rien même à penser contre la conduite que j’ai tenue à votre égard.

« Vous ne pouvez pas non plus vous rejeter sur la situation des affaires présentes. Ont-elles jamais été en meilleur état ? jamais Rome a-t-elle remporté de plus grands avantages sur ses ennemis ? jamais le soldat a-t-il eu de plus grandes espérances ? Quelque esprit défiant dira peut-être qu’il y a pour vous plus à gagner et plus à espérer chez les ennemis. Et quels sont ces ennemis ? Indibilis et Mandonius ? Quoi ! ne savez-vous pas qu’ils ne sont venus de notre côté qu’après avoir violé la foi qu’ils devaient aux Carthaginois, et qu’ils ne sont retournés chez les Carthaginois qu’après avoir foulé aux pieds la fidélité qu’ils nous avaient jurée ? Après cela, des hommes recommandables par de si belles actions, ne méritent-ils pas bien qu’on