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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/756

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POLYBE, LIV. XI.

ajoute foi à leurs promesses, et qu’on prenne les armes en leur faveur contre sa propre patrie ? Vous n’espériez pas non plus apparemment que, combattant sous leurs enseignes, vous vous rendriez maîtres de l’Espagne : ni en joignant vos forces avec celles d’Indibilis, ni par vous-mêmes, vous n’étiez assez forts pour vous opposer à nos conquêtes. Quelles ont donc été vos vues ? ne pourrais-je pas les savoir de vous-mêmes ? est-ce l’expérience, la valeur, l’habileté de ces grands capitaines, que vous vous êtes choisis, qui ont gagné votre confiance ? sont-ce les faisceaux et les haches qu’ils font marcher devant eux qui vous ont imposé ? Mais j’aurais honte de m’arrêter là-dessus davantage. Ce n’est rien de tout cela, Romains ; vous n’avez rien de juste à reprocher, ni à votre patrie ni à votre général. Je n’ai pour justifier votre faute, et auprès de Rome et auprès de moi, aucune autre raison à alléguer, sinon que la multitude est aisée à tromper, et qu’il est facile de la pousser où l’on veut : elle est susceptible des mêmes agitations que la mer ; et de même que celle-ci, quoique calme, tranquille et stable par elle-même, se conforme et ressemble en quelque sorte aux vents qui la bouleversent et la tourmentent, quand elle est agitée par quelque tempête ; de même la multitude est telle qu’il plaît de la rendre à ceux qui la conduisent et aux conseils desquels elle se livre et s’abandonne. C’est pour cela que tous les officiers de l’armée et moi nous voulons bien vous pardonner votre révolte, et que nous vous promettons solennellement d’en bannir à jamais le souvenir. Mais il n’y a pas de pardon à espérer pour ceux qui vous l’ont inspirée ; nous serons inexorables, et l’attentat qu’ils ont commis contre leur patrie et contre nous sera puni selon sa gravité. »

À peine Scipion eut-il fini de parler, que les troupes qui environnaient l’assemblée frappèrent de leurs épées contre leurs boucliers, selon l’ordre qui leur avait été donné. Aussitôt on amena liés et dépouillés les auteurs de la sédition. La multitude fut si effrayée et des soldats qui l’enveloppaient, et du triste spectacle qu’elle avait devant les yeux, que, pendant qu’on déchirait de verges les uns, et que l’on massacrait les autres à coups de hache, personne ne changea de visage et n’osa proférer la moindre parole, et que tous demeurèrent comme immobiles d’étonnement et de crainte. On traîna ces criminels à travers l’assemblée, et ensuite le général et les autres officiers engagèrent leurs paroles aux autres, que jamais on ne leur rappellerait leur faute. Ceux-ci jurèrent aussi l’un après l’autre aux tribuns, qu’ils seraient soumis aux ordres de leurs chefs, et que jamais ils ne trameraient aucun complot contre Rome. C’est ainsi que Scipion réprima par sa prudence une sédition qui aurait pu causer de grands maux, et qu’il rétablit son armée dans les dispositions où elle était avant que ce soulèvement arrivât. (Dom Thuillier.)


Indibilis est défait en bataille rangée.


Scipion, ayant rassemblé son armée dans la ville même de Carthage-la-Neuve, convoqua une assemblée de ses soldats et leur tint un discours sur la hardiesse et la perfidie d’Indibilis. Il s’étendit fort sur ce sujet, et les raisons dont il se servit animèrent puissamment la multitude à tirer ven-