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POLYBE, LIV. XII.

cela du dernier possesseur et d’une possession qui pendant un certain temps n’aurait pas été contestée ; mais que si quelqu’un ayant emporté de force une chose chez lui, le premier maître intentait action pour la ravoir, cette action était juste. Le jeune homme fut choqué de ce jugement, et nia que ce fût l’esprit du législateur. Alors le cosmopole demanda s’il y avait quelqu’un dans la compagnie qui voulût disputer sur l’intention de la loi selon la formule prescrite par Zaleucus. Cette formule était que les deux disputans parlassent la corde au cou, en présence de mille personnes, à cette condition, que celui des deux qui détournerait à un mauvais sens l’intention du législateur, serait étranglé devant toute l’assemblée. Le jeune homme répondit que la condition n’était pas égale ; que le cosmopole, ayant près de quatre-vingt-dix ans, n’avait plus que deux ou trois ans à vivre, au lieu que lui, selon toutes les apparences, avait encore à vivre beaucoup plus qu’il n’avait vécu. Ce bon mot tourna l’affaire en plaisanterie, et les juges décidèrent suivant l’avis du cosmopole. (Dom Thuillier.)


IV.


Contradictions dans lesquelles est tombé Callisthènes en racontant une des batailles d’Alexandre contre Darius.


Pour ne pas vouloir déroger à l’autorité d’hommes si célèbres, disons en passant quelques mots de la bataille donnée en Cilicie entre Alexandre et Darius, bataille célèbre qui n’est pas fort éloignée du temps dont nous parlons, et à laquelle, ce qui est le principal, Callisthènes se trouvait. Cet historien raconte qu’Alexandre avait déjà passé les détroits et ce que l’on appelle dans la Cilicie les Pyles, et que Darius ayant pris sa route par les Pyles Amaniques était entré avec son armée dans la Cilicie, lorsque ce prince, averti par les habitans du pays qu’Alexandre tournait vers la Syrie, se mit à le suivre ; qu’arrivé près des détroits, il campa sur le Pyrame ; que le poste qu’il occupait n’avait pas depuis la mer jusqu’au pied de la montagne plus de quatorze stades ; que le fleuve, venant des montagnes entre des côtes escarpées, traversait obliquement cet espace, et allait de là par une plaine se décharger dans la mer, coulant entre des hauteurs fort roides et inaccessibles.

Après cette description, il dit qu’Alexandre étant revenu sur ses pas pour aller au devant de ses ennemis, Darius et ses officiers avaient rangé leur phalange en bataille dans le camp même qu’il avait pris d’abord ; qu’il s’était couvert du Pinare qui coulait proche du camp ; qu’il avait rangé sa cavalerie sur le bord de la mer ; auprès d’elle, le long du fleuve, les étrangers soudoyés, et les peltastes tout au pied des montagnes.

Mais comment ces troupes pouvaient-elles être postées devant la phalange, le fleuve passant auprès du camp ? Cela n’est pas concevable. Elles étaient trop nombreuses pour cela ; car, au rapport même de Callisthènes, il y avait trente mille chevaux et autant d’étrangers soudoyés. Or, il est aisé de savoir combien ce nombre de troupes devait occuper d’espace. La cavalerie se range pour l’ordinaire sur huit de hauteur, et c’est la meilleure méthode. Entre les turmes, il faut laisser sur le front une distance raisonnable pour la commodité des différens mouvemens. Ainsi un stade ne peut contenir que huit cents chevaux ; dix stades, huit mille ; quatre stades, trois mille deux cents ; de sorte que dans quatorze stades, il ne peut