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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/769

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POLYBE, LIV. XII.

tenir que onze mille deux cents chevaux. De plus, pour loger sur ce terrain trente mille chevaux, il faudrait en faire trois corps les uns sur les autres sans intervalle. Et cela posé, où étaient donc les étrangers soudoyés ? Derrière la cavalerie peut-être ; mais Callisthènes ne dit point cela, puisque, selon lui, au contraire, les mercenaires eurent affaire aux Macédoniens ; d’où l’on doit nécessairement conclure que la moitié du terrain du côté de la mer était occupé par la cavalerie, et l’autre moitié du côté des montagnes par les étrangers soudoyés. On peut encore juger par là sur quelle hauteur était rangée la cavalerie et combien le fleuve était éloigné du camp.

Il dit ensuite que les Macédoniens s’étant avancés, Darius, qui était au centre de son armée, appela à lui les étrangers d’une des ailes. Cela ne paraît pas encore trop aisé à comprendre ; car il fallait que la cavalerie et les mercenaires fussent réunis ensemble au milieu de ce terrain. Or, Darius se trouvant là parmi les mercenaires, comment et pourquoi les appelait-il ? Il ajoute que la cavalerie de l’aile droite fondit sur Alexandre, et que celui-ci soutint avec vigueur ; qu’il vint aussi contre elle, et que le combat fut vif et opiniâtre. Mais cet historien a oublié qu’entre Darius et Alexandre il y avait un fleuve, et un fleuve tel qu’il le décrit un moment auparavant.

Il n’est pas plus judicieux sur ce qui regarde Alexandre. Selon lui, ce prince passa en Asie avec quarante mille hommes de pied et quatre mille cinq cents chevaux ; et pendant qu’il se disposait à entrer dans la Cilicie, il lui vint de Macédoine un renfort de cinq mille hommes d’infanterie et de huit cents de cavalerie. Ôtons de ce nombre trois mille fantassins et trois cents chevaux pour différens usages, c’est le plus qu’on puisse détacher de l’armée pour cela, il lui restait donc quarante-deux mille hommes de pied. Alexandre avec cette armée ayant passé les détroits, apprit que Darius était dans la Cilicie et qu’il n’était éloigné de lui que de cent stades. Aussitôt il rebrousse chemin et repasse les détroits, la phalange faisant l’avant-garde ; la cavalerie, le corps de bataille et les équipages l’arrière-garde. Aussitôt qu’il fut dans la plaine, il forma la phalange et la mit sur trente-deux de profondeur, après avoir marché quelque temps sur seize, et quand il fut près des ennemis, sur huit.

Or, tout ce récit est encore plus absurde que le précédent ; car, en marchant sur dix-huit de hauteur avec les intervalles ordinaires de six pieds entre chaque rang, un stade tient seize cents hommes, par conséquent dix stades en tiendront seize mille, et vingt stades trente-deux mille. De là on voit que lorsqu’Alexandre mit son armée sur seize de hauteur, il fallait que le terrain fût de vingt stades ; et cependant il lui restait encore à poster toute sa cavalerie et dix mille fantassins.

Il ajoute que quand Alexandre fut à quarante stades des ennemis, il mena contre eux son armée de front. On aurait peine à imaginer une plus grande absurdité ; car où trouver, surtout dans la Cilicie, une plaine de vingt stades de largeur et longue de quarante stades ? Or il n’en faut pas moins pour faire marcher de front une phalange armée de sarisses. Et d’ailleurs à combien d’embarras cette sorte d’ordonnance n’est-elle pas sujette ? Je ne veux pour le prouver que le témoignage même de Callisthène, qui dit que les torrens qui se précipitent des montagnes creusent tant d’abîmes dans la plaine, que