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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/814

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POLYBE, LIV. XV.

repas à l’heure ordinaire, et se divertit comme il avait coutume de faire.

Mais Œnanthe, pénétrée de douleur, alla dans le Thesmophore, ou temple de Cérès et de Proserpine, lequel était ouvert pour quelque sacrifice qui se faisait tous les ans à pareil jour. D’abord elle tomba sur ses genoux, et adressa aux déesses les prières les plus pressantes. Elle s’assit ensuite au pied de l’autel, et resta là tranquille. Quantité de femmes voyaient avec plaisir la tristesse et l’affliction où elle était, et demeuraient en silence. Mais les parentes de Polycrate et quelques autres des plus illustres, ne sachant pas les raisons de sa douleur, s’approchèrent d’elle et tachèrent de la consoler. Alors Œnanthe jetant un grand cri : « Ne m’approchez pas, dit-elle, bêtes farouches que vous êtes ; je vous connais bien, vous nous êtes contraires, vous priez les déesses de nous envoyer les plus grands maux ; mais j’espère qu’elles permettront que vous mangiez vos propres enfans. » Ensuite elle ordonna à ses femmes de chasser les autres qui étaient venues, et de frapper celles qui refuseraient de se retirer. À ces mots, les femmes s’en allèrent levant les mains au ciel, et le priant de faire retomber sur Œnanthe les maux dont elle menaçait les autres.

Quoique la résolution de changer le gouvernement eût été déjà prise par les hommes, leur haine cependant redoubla lorsqu’ils virent chacun leur femme dans une si grande colère. À peine le jour fut-il tombé, que l’on ne vit dans la ville que tumulte, que flambeaux, que gens qui couraient de côté et d’autre. Ceux-ci s’assemblaient, en criant, dans le stade ; ceux-là s’animaient les uns les autres ; il y en avait qui, pour n’être pas exposés aux suites de ce soulèvement, se cachaient dans des maisons ou des lieux où l’on ne pouvait soupçonner qu’il fussent. Déjà tout le terrain d’autour du palais, le stade, la place, étaient couverts de toute sorte de gens, et de ceux surtout qui fréquentent le théâtre de Bacchus, lorsqu’on alla informer Agathocles de ce qui se passait. Il n’y avait pas long-temps qu’il était sorti de table ; il s’éveille, encore plein du vin qu’il avait bu ; il prend toute sa famille, excepté Philon, vient au roi, lui dit quelques paroles sur sa mauvaise fortune, le prend par la main et monte dans une galerie qui est entre le Méandre et la Palestre, et qui conduit à l’entrée dû théâtre. Il fait bien assurer les deux premières portes, et passe jusqu’au-delà de la troisième avec deux ou trois gardes, le roi et sa famille. Ces portes étaient à jour, et elles se fermaient à deux leviers.

Il s’était alors assemblé de toute la ville une populace infinie : non-seulement les rues et les places en étaient couvertes, mais encore les escaliers et les toits. Il s’élevait un bruit confus de voix de femmes et d’enfans mêlées avec celles des hommes ; car à Alexandrie, comme à Chalcédoine, c’est la coutume que, dans ces sortes de troubles, les enfans ne fassent pas moins de bruit que les hommes. Quand le jour fut venu, quelque grande que fût la confusion des voix, on entendait cependant surtout que c’était le roi que l’on demandait. D’abord les Macédoniens, sortant de leurs tentes, s’emparent de l’endroit du palais où se tenaient les conseils. Peu après, ayant appris où était le roi, ils y allèrent et enfoncèrent les deux premières portes de la première galerie. À la seconde, ils demandèrent le roi à grands cris. Agathocles comprit alors le danger qu’il courait ; il pria les gardes d’aller trouver les Macédoniens, et de leur dire de sa part qu’il quittait le gouvernement,