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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/815

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POLYBE, LIV. XV.

qu’il renonçait à sa puissance et aux honneurs qu’il possédait, qu’il se défaisait même de tous les biens et revenus qu’il avait, qu’il ne demandait que la vie et le faible secours nécessaire pour la soutenir ; que, rentrant ainsi dans son premier état, il ne pourrait faire de peine à personne, quand même il le voudrait.

Aucun des gardes ne voulut se charger de cette commission, hors un certain Aristomène, qui quelque temps après eut la principale part dans le gouvernement. Cet homme était Acarnanien. Avancé en âge et devenu maître des affaires, il se fit une grande réputation par la sage et prudente conduite qu’il tint à l’égard du roi et du royaume : aussi habile en cela qu’il l’avait été à flatter Agathocles, pendant que celui-ci était dans sa plus grande prospérité. Il fut le premier qui l’ayant invité à dîner chez lui le distingua des autres conviés jusqu’à lui mettre une couronne d’or sur la tête, ce que la coutume ne permet d’accorder qu’aux rois. Il osa aussi, le premier, porter son portrait sur une bague. Une fille lui étant née, il lui donna le nom d’Agathoclée. En voilà assez pour le faire connaître.

Aristomène, ayant donc reçu cet ordre, sort par une petite porte et vient aux Macédoniens. À peine eut-il dit quelques paroles et expliqué les intentions d’Agathocles, qu’ils voulurent lui passer leurs épées au travers du corps. Mais, défendu par quelques hommes qui demandaient que l’on fit main basse sur la multitude, il retourna vers Agathocles, avec ordre de lui dire qu’il amenât le roi, ou qu’il prît garde de ne pas sortir lui-même. Dès qu’il fut parti, les Macédoniens avancèrent à la seconde porte et l’enfoncèrent. Agathocles, jugeant par là et par la réponse qu’on lui avait apportée, de la colère où ils étaient, leur tendit les mains en suppliant. Agathoclée, de son côté, se découvrit le sein dont elle disait qu’elle avait nourri le roi. Tous deux les conjuraient, par tout ce qu’ils pouvaient dire de plus touchant, de leur accorder au moins la vie. Leurs larmes et leurs gémissemens ne servant de rien, ils envoyèrent enfin le jeune roi avec les gardes. Les Macédoniens le prennent, le mettent sur un cheval et le conduisent au stade. Dès qu’il parut, toute la place retentit de cris de joie et d’applaudissemens. On arrêta le cheval, on en descendit le roi, et on le conduisit jusqu’à l’endroit d’où les rois ont coutume de se faire voir.

Parmi la multitude, on était partagé entre la joie et la douleur. On était très-content que le roi eût été amené, mais on était en même temps chagrin que l’on n’eût pas pris ceux qui étaient la cause de tous les troubles, et qu’ils ne reçussent pas un châtiment proportionné à leurs crimes. C’est pourquoi on ne cessait de crier et de commander que l’on se saisît de ces scélérats, et que l’on en fît un exemple. Le jour ayant paru et la populace ne sachant sur qui faire éclater son ressentiment, un des gardes, nommé Sosibe, s’avisa d’un expédient fort heureux pour tirer le roi d’embarras et pour apaiser le tumulte. Voyant que la colère du peuple ne se calmait point, et le chagrin qu’avait le jeune prince d’être environné de gens qu’il ne connaissait pas, et d’entendre le bruit que cette multitude faisait à ses oreilles, il demanda au roi s’il n’abandonnait pas au peuple ceux qui en avaient mal agi à son égard et à celui de sa mère. Le roi dit qu’il le voulait bien. Sosibe donna ordre à quelques gardes de publier quelles étaient les intentions du roi, et enleva