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Page:Liskenne, Sauvan - Bibliothèque historique et militaire, Tome 2, 1836.djvu/816

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POLYBE, LIV. XV.

en même temps ce jeune prince pour le conduire dans sa maison qui était proche, et lui servir à manger.

La volonté du roi ayant été hautement déclarée, on n’entendit partout que cris de joie et qu’applaudissemens. Alors Agathocles et sa sœur se séparèrent et se retirèrent chacun chez soi. Quelques soldats, les uns de leur propre mouvement, les autres poussés par la populace, se mirent en devoir de les chercher. Le massacre suivit bientôt, mais ce ne fut que par un pur hasard. Un homme de la maison d’Agathocles et un de ses flatteurs nommé Philon, entrant plein de vin dans le stade et voyant la disposition de la populace contre son maître, dit à ceux qui étaient autour de lui, qu’à présent comme auparavant ils ne verraient pas plutôt Agathocles qu’ils changeraient de sentiment. À ces mots, les uns le chargent d’injures, les autres le poussent avec violence ; comme il fait effort pour se défendre, on lui déchire son manteau, on le perce à coups de lance, on le traîne avec ignominie encore tout palpitant. Dès que l’on eut commencé à goûter le sang, on attendit avec impatience que les autres fussent amenés. Agathocles parut peu de temps après, chargé de chaînes. À peine fut-il entré dans la foule, que quelques-uns coururent à lui et le percèrent d’abord. C’était lui rendre un service d’ami, car par là on le déroba à la triste catastrophe qui devait terminer sa vie. On amena avec lui Nicon, Agathoclée nue avec ses sœurs, et ensuite tous ses parens. On arracha aussi Œnanthe du Thesmophore ; on la mit nue sur un cheval, et on la fit venir dans le stade. Toutes ces personnes furent livrées à la populace, dont les uns les mordirent, les autres leur passèrent l’épée au travers du corps, et d’autres encore leur arrachèrent les yeux ; et, à mesure qu’ils tombaient de cheval, on leur arracha les membres, jusqu’à ce qu’ils fussent tous déchirés par morceaux ; car c’est le vice naturel des Égyptiens, leur colère est toujours accompagnée de cruauté. Dans le même temps, quelques jeunes filles, qui avaient été élevées avec Arsinoé, ayant appris que Philamnon, qui avait commission de tuer la reine, était arrivé depuis trois jours de Cyrène, entrèrent par force dans la maison de cet officier, et à coups de pierres et de bâton le mirent à mort ; elles étranglèrent son fils, qui était encore dans l’âge le plus tendre, et ayant traîné sa femme toute nue sur la place, elles la massacrèrent.

Telle fut la fin tragique d’Agathocles, de sa sœur et de toute sa famille. Je sais les efforts d’esprit qu’ont fait ceux qui ont écrit avant moi cet événement pour jeter du merveilleux dans leur récit, et pour frapper d’étonnement leurs lecteurs. Ils y ont joint des réflexions plus longues que ne méritaient les choses qui leur donnaient lieu d’en faire ; ceux-ci rapportant cet événement à la Fortune, pour montrer combien elle est peu stable, et combien il est difficile d’être toujours en garde contre sa bizarrerie ; ceux-là tâchant de donner quelque air de vraisemblance à des faits qui leur ont paru extraordinaires. Pour moi, je n’ai pas jugé à propos de prendre la même peine au sujet d’Agathocles. Je ne vois dans cet homme-là ni courage, ni vertu qui le distinguât dans les armes. Sa conduite dans le maniement des affaires serait un mauvais modèle, et pour ce qu’on appelle esprit de cour et l’art de tromper finement, on n’en remarquait pas dans lui le moindre trait, bien différent de Sosibe et de plusieurs autres qui le possédaient au souverain degré, et qui pour