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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/196

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conſiderées enſemble. Liv. II.

quelque exiſtence réelle qui n’ait abſolument aucune eſpèce de durée. C’eſt pourquoi nous ne ſavons pas quel rapport les Eſprits ont avec l’Eſpace, ni comment ils y participent. Tout ce que nous ſavons, c’eſt que chaque Corps pris à part occupe ſa portion particuliére de l’Eſpace, ſelon l’étenduë de ſes parties ſolides ; & que par-là il empêche tous les autres Corps d’avoir aucune place dans cette portion particuliére, pendant qu’il en eſt en poſſeſſion.

§. 12.Deux parties de la Durée n’exiſtent jamais enſemble, & les parties de l’Expanſion exiſtent toutes enſemble. La Durée eſt donc, auſſi bien que le Temps qui en fait partie, l’idée que nous avons d’une diſtance qui périt, & dont deux parties n’exiſtent jamais enſemble, mais ſe ſuivent ſucceſſivement l’une l’autre ; & l’Expanſion eſt l’idée d’une diſtance durable dont toutes les parties exiſtent enſemble, & ſont incapables de ſucceſſion. C’eſt pour cela que, bien que nous ne puiſſions concevoir aucune Durée ſans ſucceſſion, ni pour mettre dans l’Eſprit, qu’un Etre coëxiſte préſentement à Demain, ou poſſede à la fois plus que ce moment préſent de Durée, cependant nous pouvons concevoir que la Durée éternelle de l’Etre infini eſt fort différente de celle de l’Homme, ou de quelque autre Etre fini. Parce que la connoiſſance ou la puiſſance de l’Homme ne s’étend point à toutes les choſes paſſées & à venir, ſes penſées ne ſont, pour ainſi dire, que d’hier, & il ne fait pas ce que le jour de demain doit mettre en évidence. Il ne fauroit rappeller le paſſé, ni rendre préſent ce qui eſt encore à venir. Ce que je dis de l’Homme je le dis de tous les Etres finis, qui, quoi qu’ils puiſſent être beaucoup au deſſus de l’Homme en connoiſſance & en puiſſance, ne ſont pourtant que de foibles Créatures en comparaiſon de Dieu lui-même. Ce qui eſt fini, quelque grand qu’il ſoit, n’a aucune proportion avec l’Infini. Comme la durée infinie de Dieu eſt accompagnée d’une connoiſſance & d’une puiſſance infinies, il voit toutes les choſes paſſées & à venir ; en ſorte qu’elles ne ſont pas plus éloignées de ſa connoiſſance, ni moins expoſées à ſa vûë que les choſes préſentes. Elles ſont toutes également ſous ſes yeux ; & il n’y a rien qu’il ne puiſſe faire exiſter, chaque moment qu’il veut. Car l’exiſtence de toutes choſes dépendant uniquement de ſon bon-plaiſir, elles exiſtent toutes dans le même moment qu’il juge à propos de leur donner l’exiſtence.

§. 13.L’Expanſion & la Durée ſont renfermées l’une dans l’autre. Enfin l’Expanſion & la Durée ſont renfermées l’une dans l’autre, chaque portion d’Eſpace étant dans chaque partie de la Durée, & chaque portion de durée dans chaque partie de l’Expanſion. Je croi que parmi toute cette grande varieté d’idées que nous concevons ou pouvons concevoir on trouveroit à peine une telle combinaiſon de deux Idées diſtinctes, ce qui peut fournir matiére à de plus profondes ſpéculations.