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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/195

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De la Durée & de l'Expanſion

clair & diſtinct. C’eſt dequoi l’on ſera aiſément convaincu, ſi l’on abandonne ſon Eſprit à la contemplation de cette vaſte expanſion de l’Eſpace ou de la diviſibilité de la Matiére. Chaque partie de la Durée, eſt durée, & chaque partie de l’Extenſion, eſt extenſion ; & l’une & l’autre ſont capables d’addition ou de diviſion à l’infini. Mais il eſt, peut-être, plus à propos que nous nous fixions à la conſideration des plus petites parties de l’une & de l’autre, dont nous ayions des idées claires & diſtinctes, comme à des idées ſimples de cette eſpece, deſquelles nos Modes complexes de l’Eſpace, de l’Etenduë & de la Durée, ſont formez, & auxquelles ils peuvent être encore diſtinctement réduits. Dans la Durée, cette petite partie peut être nommée un moment, & c’eſt le temps qu’une Idée reſte dans notre Eſprit, dans cette perpetuelle ſucceſſion d’idées qui s’y fait ordinairement. Pour l’autre petite portion qu’on peut remarquer dans l’Eſpace, comme elle n’a point de nom, je ne ſai ſi l’on me permettra de l’appeller Point ſenſible, par où j’entens la plus petite particule de Matiére ou d’Eſpace, que nous puiſſions diſcerner, & qui eſt ordinairement environ une minute, ou aux yeux les plus pénétrans, rarement moins que trente ſecondes d’un cercle dont l’Oeuil eſt le centre.

§. 10Les parties de l’Expanſion & de la Durée ſont inſeparables. L’Expanſion & la Durée conviennent dans cet autre point ; c’eſt que bien qu’on les conſidere l’une & l’autre comme ayant des parties, cependant leurs parties ne peuvent être ſeparées l’une de l’autre, pas même par la penſée ; quoi que les parties des Corps d’où nous tirons la meſure de l’Expanſion, & celles du Mouvement, ou plûtôt, de la ſucceſſion des Idées de notre Eſprit, d’où nous empruntons la meſure de la Durée, puiſſent être diviſées & interrompuës, ce qui arrive aſſez ſouvent, le Mouvement étant terminé par le Repos, & la ſucceſſion de nos idées par le ſommeil, auquel nous donnons auſſi le nom de repos.

§. 11.La Durée eſt comme une Ligne, & l’Expanſion comme un Solide. Il y a pourtant cette différence viſible entre l’Eſpace & la Durée que les idées de longueur que nous avons de l’Expanſion, peuvent être tournées en tout ſens, & ſon ainſi ce que nous nommons figure, largeur & épaiſſeur ; au lieu que la Durée n’eſt que comme une longueur continuée à l’infini en ligne droite, qui n’eſt capable de recevoir ni multiplicité ni variation, ni figure, mais eſt une commune meſure de tout ce qui exiſte, de quelque nature qu’il ſoit, une meſure à laquelle toutes choſes participent également pendant leur exiſtence. Car ce moment-ci eſt commun à toutes les choſes qui exiſtent préſentement, & renferme également cette partie de leur exiſtence, tout de même que ſi toutes ces choſes n’étoient qu’un ſeul Etre, de ſorte que nous pouvons dire avec verité, que tout ce qui eſt, exiſte dans un ſeul & même moment de temps. De ſavoir ſi la nature des Anges & des Eſprits a, de même, quelque analogie avec l’Expanſion, c’eſt ce qui eſt au deſſus de ma portée : & peut-être que par rapport à nous, dont l’Entendement eſt tel qu’il nous le faut pour la conſervation de notre Etre, & pour les fins auxquelles nous ſommes deſtinez, & non pour avoir une véritable & parfaite idée de tous les autres Etres, il nous eſt preſque auſſi difficile de concevoir quelque exiſtence, ou d’avoir l’idée de quelque Etre réel, entierement privé de toute ſorte d’Expanſion, que d’avoir l’idée de