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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/268

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Des Modes Mixtes. Liv. II.

mens établis parmi eux, ont néceſſairement dans l’Eſprit des hommes, avant que d’exiſter nulle autre part, & que pluſieurs Mots qui ſignifioient de telles idées complexes, ont été en uſage, & que les Idées attachées à ces Mots ont été formées, ([1]) avant que les combinaiſons que ces Mots & ces Idées repréſentoient, euſſent exiſté.

§. 3.On les acquiert quelquefois par l’explication des termes qui ſervent à les exprimer. A la verité, préſentement que les Langues ſont formées & qu’elles abondent en termes qui expriment ces Combinaiſons, c’eſt par l’explication des termes mêmes qui ſervent à les exprimer, qu’on acquiert ordinairement ces idées complexes. Car comme elles ſont compoſées d’un certain nombre d’Idées ſimples combinées enſemble, elles peuvent, par le moyen des mots qui expriment ces Idées ſimples, être préſentées à l’Eſprit de celui qui entend ces mots, quoi que l’exiſtence réelle des choſes n’eût jamais fait naître dans ſon Eſprit une telle combinaiſon d’Idées ſimples. Ainſi un homme peut venir à ſe repréſenter l’idée de ce qu’on nomme Meurtre ou Sacrilege, ſi l’on lui fait une énumeration des Idées ſimples que ces deux mots ſignifient, ſans qu’il aît jamais vû commettre ni l’un ni l’autre de ces crimes.

§. 4.Les noms attachent les parties des Modes mixtes à une ſeule idée. Chaque Mode mixte étant compoſé de pluſieurs Idées ſimples, diſtinctes les unes des autres, il ſemble raiſonnable de rechercher d’où c’est qu’il tire ſon Unité, & comment une telle multitude particulière d’Idées vient à faire une ſeule Idée, puis que cette combinaiſon n’exiſte pas toûjours réellement dans la nature des choſes. Il eſt évident, que l’Unité de ces Modes vient d’un Acte de l’Eſprit qui combine enſemble ces différentes Idées ſimples, & les conſidére comme une ſeule Idée complexe qui renferme toutes ces diverſes parties : & ce qui eſt la marque de cette union, ou qu’on regarde en général comme ce qui la détermine exactement, c’eſt le nom qu’on donne à cette combinaiſon d’idée. Car c’eſt ſur les noms que les hommes réglent ordinairement le compte qu’ils font d’autant d’eſpèces diſtinctes de Modes mixtes ; & il arrive rarement qu’ils reçoivent ou conſiderent aucun nombre d’Idées ſimples comme faiſant une idée complexe, excepté les collections qui ſont déſignées par certains noms. Ainſi, quoi que le crime de celui qui tuë un Vieillard, ſoit de ſa nature, auſſi propre à former une idée complexe, que le crime de celui qui tuë ſon Pére ; cependant parce qu’il n’y a point de nom qui ſignifie préciſément le prémier, comme il y a le mot de Parricide pour déſigner le dernier, on ne regarde pas le prémier comme une particuliére Idée complexe, ou comme une eſpèce d’action diſtincte de celle par laquelle on tuë un jeune homme, ou quelque autre homme que ce ſoit.

§. 5.Pourquoi les hommes font des Modes mixtes ? Si nous pouſſons un peu plus loin nos recherches pour voir ce qui détermine les hommes à convertir diverſes combinaiſons d’idées ſimples en autant de Modes diſtincts, pendant qu’ils en négligent d’autres, qui, à

  1. Suppoſé, par exemple, que le prémier homme aît fait une Loi contre le crime qui conſiſte à tuer ſon Père ou ſa Mère, en le déſignant par le terme Parricide, avant qu’un tel crime eût été commis, il eſt viſible que l’Idée complexe que le mot de Parricide ſignifie, n’exiſta d’abord, que dans l’Eſprit du Légiſlateur & de ceux à qui cette Loi fut notifiée.