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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/282

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des Subſtances. Liv. II.

ou plûtôt n’eſt rien du tout à notre égard, puiſqu’elle n’eſt qu’un je ne ſai quoi, que nous ſuppoſons être le ſoûtien de ces Idées que nous nommons Accidens. C’eſt donc faute de reflexion que nous ſommes portez à croire, que nos Sens ne nous préſentent que des choſes materielles. Chaque acte de Senſation, à le conſiderer exactement, nous fait également enviſager des choſes corporelles, & des choſes ſpirituelles. Car dans le temps que voyant ou entendant, &c. je connois qu’il y a quelque Etre corporel hors de moi qui eſt l’objet de cette ſenſation, je ſai d’une maniére encore plus certaine qu’il y a au dedans de moi quelque Etre ſpirituel qui voit & qui entend. Je ne ſaurois, dis-je, éviter d’être convaincu en moi-même que cela n’eſt pas l’action d’une matiére purement inſenſible, & ne pourroit jamais ſe faire ſans un Etre penſant & immatériel.

§. 16.Nous n’avons aucune idée de la Subſtance abstraite. Par l’idée complexe d’etenduë, de figure, de couleur, & de toutes les autres Qualitez ſenſibles, à quoi ſe réduit tout ce que nous connoiſſons du Corps, nous ſommes auſſi éloignez d’avoir quelque idée de la Subſtance du Corps, que ſi nous ne le connoiſſions point du tout. Et quelque connoiſſance particuliére que nous penſions avoir de la Matiere, & malgré ce grand nombre de Qualitez que les hommes croyent appercevoir & remarquer dans les Corps, on trouvera, peut-être après y avoir bien penſé, que les idées originales qu’ils ont du Corps, ne ſont ni en plus grand nombre ni plus claires, que celles qu’ils ont des Eſprits immateriels.

§. 17.La coheſion de parties ſolides de l’impulſion, ſont les Idées originales du Corps. Les Idées originales que nous avons du Corps, comme lui étant particuliéres, entant qu’elles ſervent à le diſtinguer de l’Eſprit, ſont la coheſion de parties ſolides & par conſéquent ſeparable, & la puiſſance de communiquer le mouvement par la voye d’impulſion. Ce ſont là, dis-je, à mon avis, les idées originales du Corps qui lui ſont propres & particuliéres, car la Figure n’eſt qu’une ſuite d’une Extenſion bornée.

§. 18.La penſée & la puiſſance de donner du mouvement, ſont les idées originales de l’Eſprit. Les idées que nous conſiderons comme particuliéres à l’Eſprit, ſont la Penſée, la Volonté, ou la puiſſance de mettre un Corps en mouvement par la penſée ; & la Liberté qui eſt une ſuite de ce pouvoir. Car comme un Corps ne peut que communiquer ſon mouvement par voye d’impulſion à un autre Corps qu’il rencontre en repos ; de même l’Eſprit peut mettre des Corps en mouvement, ou s’empêcher de le faire, ſelon qu’il lui plaît. Quant aux idées d’Exiſtence, de Durée & de Mobilité, elles ſont communes au Corps & à l’Eſprit.

§. 19.Les Eſprits ſont capables de mouvement. On ne doit point, au reſte, trouver étrange que j’attribuë la Mobilité à l’Eſprit : car comme je ne connois le mouvement que ſous l’idée d’un changement de diſtance par rapport à d’autres Etres qui ſont conſiderez en repos ; & que je trouve que les Eſprits non plus que les Corps ne ſauroient operer qu’où ils ſont ; & que les Eſprits operent en divers temps dans différens lieux ; je ne puis qu’attribuer le changement de place à tous les Eſprits finis, car je ne parle point ici de l’Eſprit infini. En effet, mon Eſprit étant un Etre réel auſſi bien que mon Corps, il eſt certainement auſſi capable que le Corps même, de changer de diſtance par rapport à quelque Corps ou à quelque autre Etre que ce ſoit ; & par conſéquent il est capable de mouvement. De ſorte que, ſi un Mathematicien peut conſiderer