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Page:Locke - Essai sur l’entendement humain.djvu/459

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Remedes contre l’Imperfection

ſouris ſeroit un Oiſeau ou non. A propos de quoi je voudrois bien qu’on conſiderât, & qu’on examinât ſoigneuſement ſi la plus grande partie des Diſputes qu’il y a dans le monde ne ſont pas purement verbales, & ne roulent point uniquement ſur la ſignification des Mots, & s’il n’eſt pas vrai que, ſi l’on venoit à définir les termes dont on ſe ſert pour les exprimer, & qu’on les reduiſît aux collections déterminées des idées ſimples qu’ils ſignifient, (ce qu’on peut faire, lorſqu’ils ſignifient effectivement quelque choſe) ces Diſputes finiroient d’elles-mêmes & s’évanouïroient auſſi-tôt. Qu’on voye après cela, ce que c’eſt que l’Art de diſputer, & combien l’occupation de ceux dont l’étude ne conſiſte que dans une vaine oſtentation de ſons, c’eſt-à-dire, qui employent toute leur vie à des Diſputes & des Contreverſes, contribuë à leur avantage, ou à celui des autres hommes. Du reſte, quand je remarquerai que quelqu’un de des Diſputeurs écarte de tous ces termes l’équivoque & l’obſcurité, (ce que chacun peut faire à l’égard des Mots dont il ſe ſert lui-même) je croirai qu’il combat véritablement pour la Vérité & pour la Paix, & qu’il n’eſt point eſclave de la Vanité, de l’Ambition, ou de l’Amour de Parti.

§. 8.I. Remede, n’employer aucun mot ſans y attacher une idée. Pour remedier aux défauts de Langage dont on a parlé dans les deux derniers Chapitres, & pour prévenir les inconvéniens qui s’en ensuivent, je m’imagine que l’obſervation des Règles ſuivantes pourra être de quelque uſage, juſqu’à ce que quelque autre plus habile que moi, veuille bien prendre la peine de méditer plus profondément ſur ce ſujet, & faire part de ſes penſées au Public.

Prémiérement donc, chacun devroit prendre ſoin de ne ſe ſervir d’aucun mot ſans ſignification, ni d’aucun nom auquel il n’attachât quelque idée. Cette Règle ne paroîtra pas inutile à quiconque prendra la peine de rappeller en lui-même, combien de fois il a remarqué des mots de cette nature, comme inſtinct, ſympathie, antipathie, &c. employez de telle maniére dans le diſcours des autres hommes, qu’il lui eſt aiſé d’en conclurre que ceux qui s’en ſervent, n’ont dans l’Eſprit aucunes idées auxquelles ils ayent ſoin de les attacher, mais qu’ils les prononcent ſeulement comme de ſimples ſons, qui pour l’ordinaire tiennent lieu de raiſon en pareille rencontre. Ce n’eſt pas que ces Mots & autres ſemblables n’ayent des ſignifications propres dans leſquelles on peut les employer raiſonnablement. Mais comme il n’y a point de liaiſon naturelle entre aucun mot & aucune idée, il peut arriver que des gens apprenant ces mots-là & quelques autres que ce ſoient par routine, les prononcent ou les écrivent ſans avoir dans l’Eſprit des idées auxquelles ils les ayent attachez & dont ils les rendent ſignes, ce qu’il faut pourtant que les hommes faſſent néceſſairement, s’ils veulent ſe rendre intelligibles à eux-mêmes.

§. 9.II. Remede, avoir des idées diſtinctes attachées aux mots qui expriment des Modes. En ſecond lieu, il ne ſuffit pas qu’un homme employe les mots comme ſignes de quelques idées, il faut encore que les idées qu’il leur attache, ſi elles ſont ſimples, ſoient claires & diſtinctes, & ſi elles ſont complexes, qu’elles ſoient déterminées, c’eſt-à-dire, qu’une collection préciſe d’idées ſimples ſoit fixée dans l’Eſprit avec un ſon qui lui ſoit attaché comme ſigne de cette collection préciſe & déterminée, & non d’aucune